A l’heure où certains consommateurs limitent leur consommation de viande rouge, celle-ci reste une source essentielle de protéines de qualité et de micronutriments biodisponibles. (Cet article est le troisième d’une série de cinq issus des interventions scientifiques aux Matinales de la Recherche 2025 d’Interbev, le 25 mars 2025).
I. CONTEXTE
Le contexte actuel incite les consommateurs à limiter leur consommation de viande, au risque de générer des apports nutritionnels inadéquats, particulièrement dommageables pour des populations à risques telles que les personnes âgées, et les femmes enceintes ou en âge de procréer (Anses, 2024 ; Kavanaugh et al., 2025). Une modélisation des régimes alimentaires par optimisation mathématique a montré qu’une quantité minimale de produits animaux était nécessaire (environ 50% de l’apport protéique) dans notre alimentation pour assurer la couverture de l’ensemble des besoins nutritionnels (macro et micronutriments), sans bouleverser nos habitudes alimentaires et engendrer de surcoût important (Vieux et al., 2022)
S’il existe déjà dans la littérature des données sur la digestibilité des protéines, celles-ci sont principalement issues de repas semi-synthétiques (la protéine étudiée est la seule source de protéine du repas), et il existe très peu d’étude évaluant la qualité protéique globale d’un repas représentatif de notre alimentation. L’objectif de l’étude était donc d’acquérir des données sur la biodisponibilité des nutriments de repas végétariens (céréales et légumineuses brutes ou substitut végétal) versus des repas contenant des produits carnés (avec des proportions de protéines animales croissantes), afin de tenir compte des interactions digestives entre les constituants des repas. Il s’agissait aussi d’apporter des éléments concrets sur l’intérêt des produits carnés dans la couverture des besoins nutritionnels en intégrant la notion de biodisponibilité.
II. DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL
En raison de sa flexibilité dans les proportions d'ingrédients animaux et végétaux et de la possibilité d'ajouter de la viande rouge, le couscous a été choisi comme modèle de repas. Après des recherches sur différents sites culinaires professionnels, l'ADIV a établi la composition de six repas contenant la même quantité de protéines, soit 40 grammes (Figure 1).
Figure n° 1 : Composition en semoule/pois chiche, légumes, viande et en alternative végétale des six repas-tests utilisés pour l’étude.
Toutes les recettes ont été préparées et conditionnées sous vide à l'ADIV avant d’être stockées à -20 °C.
La biodisponibilité des nutriments a ensuite été évaluée par la quantification des résidus alimentaires non absorbés dans de l'intestin grêle (principal site d'absorption des acides aminés, minéraux et vitamines d'intérêt pour l'étude). Cette approche nécessite l’établissement d'une fistule à la fin de l’intestin grêle, pour collecter les effluents digestifs. Cette étude in vivo a été réalisée sur des porcs nains en raison de la proximité de leur comportement alimentaire et de leur physiologie digestive avec la physiologie humaine. Les protéines endogènes des animaux ont été marquées par perfusion intraveineuse continue d’un isotope de la leucine, ce qui a permis de distinguer les protéines alimentaires des protéines endogènes dans les contenus digestifs collectés, et de calculer une digestibilité réelle des protéines alimentaires dans l’intestin grêle (digestibilité iléale réelle).
Les repas (n = 6) ont été testés sur chaque animal (n = 6), avec un schéma expérimental en carré latin, à raison de deux repas testés par semaine et par mini-porc. Les contenus digestifs ont été prélevés en continu entre 1 heure et 9 heures après la distribution du repas et des dosages d’acides aminés et de minéraux (fer, zinc, magnésium) ont été réalisés sur ces prélèvements.
III. RÉSULTATS
Les résultats obtenus ont d’abord confirmé la très bonne digestibilité iléale réelle des protéines contenues dans les repas avec de la viande (>92 %). Dans une étude récente, utilisant la même approche expérimentale, une digestibilité iléale réelle des protéines de viande bovine de 95 % avait été rapportée (Le Bourgot et al., 2023). En revanche, la substitution de la viande par l’alternative végétale a diminué progressivement la digestibilité totale des protéines à mesure que la proportion de cette dernière augmentait dans le repas (Figure 2). Ce résultat n’était pas attendu dans la mesure ou le même type d’alternative, développée à l’échelle du laboratoire, présentait une très bonne digestibilité (Le Bourgot et al., 2023). Le changement d’échelle pour la production commerciale de l’aliment semble donc avoir largement dégradé la digestibilité des protéines.
Figure n° 2 : Digestibilité iléale réelle des acides aminés totaux contenus dans les six repas.

La substitution de la viande par l’alternative végétale sélectionnée a également diminué de manière significative la qualité de l’apport protéique du repas, représentée par le score DIAAS (Digestible Indispensable Amino Acid Score) qui repose sur la mesure de la quantité d’acides aminés indispensables (AAI) biodisponibles que renferme la source de protéine alimentaire étudiée (FAO, 2013) (Figure 3). Les AAI sont des acides aminés qui ne peuvent pas être synthétisés par l’organisme et qui doivent être nécessairement apportés par l'alimentation, condition indispensable au bon fonctionnement de l'organisme.
Figure n° 3 : Score DIAAS calculé pour chaque repas-test (l’acide aminé limitant est indiqué en dessous du score).
Seule la recette ne comportant que de la viande et des légumes (Repas E) ne présente pas d’acide aminé indispensable limitant (score DIAAS > 100). Ce score diminue progressivement avec l’incorporation croissante de semoule et pois chiche, pour atteindre 48 (avec la lysine comme acide aminé limitant) lors de la suppression totale de la viande (Repas F). L’alternative végétale utilisée dans cette étude (à base de gluten et de pois chiche) présentant également une déficience en lysine, son incorporation ne fait qu’accentuer la baisse du score de qualité.
Sur la base du DIAAS on peut calculer la quantité minimale de chacun des repas à ingérer (en g, g de protéine ou Kcal) pour couvrir la moitié du besoin journalier de l’AAI le plus limitant (Figure 4). La substitution complète de la viande par l’alternative végétale (Repas D vs A) multiplie par 2,5 la quantité de protéines et de calories à ingérer pour couvrir ce besoin. La quantité de repas à ingérer passe alors de 400 g à 1,2 kg. Diminuer de moitié la part de la viande dans l’apport protéique (Repas B vs A) entraine qu’une augmentation de seulement 10% de la quantité de protéines à ingérer, mais une augmentation de 50% de l’apport calorique. Ainsi, bien que l’utilisation d’une alternative protéique végétale à la viande permette de concentrer l’apport protéique, si celle-ci se fait avec un aliment dont l’apport en AAI est déséquilibré, il faudra quand même très largement augmenter les quantités de repas à ingérer pour permettre de couvrir l’ensemble des besoins en AAI.
Figure n° 4 : Quantité de protéines (en bleu) et d’énergie (en rouge) à ingérer pour couvrir la moitié des besoins journaliers de l’acide aminé le plus limitant pour les repas A, B, C et D.
Concernant l’absorption des minéraux, les résultats ont montré que la présence de fer héminique dans le repas assure une absorption de fer peu dépendante des autres facteurs alimentaires (toutefois saturable pour des niveaux d’apport élevés en viande). Inversement, l’absorption de la fraction non héminique apportée par les végétaux est sensible à la présence dans le repas d’agents chélateurs comme l’acide phytique ou de molécules présentant un impact sur la transformation du fer ferrique (Fe3+) en fer ferreux (Fe2+), forme absorbable du fer (Piskin et al., 2022). Le taux d’absorption du fer s’est révélé peu différent en fonction des repas, à l’exception du repas F, contenant essentiellement de la semoule et du pois chiche, pour lequel le flux de fer à la fin de l’intestin grêle était supérieur à la quantité de fer ingérée (pertes endogènes). Ce repas était également le plus riche en acide phytique. La quantité de fer absorbée était supérieure dans les recettes de couscous avec viande (Repas A et B), par rapport à la viande seule (Repas E), ce qui tend à confirmer l’effet positif de la viande sur l’absorption du fer non-héminique des végétaux. Le taux d’absorption du zinc n’était pas significativement différent entre les repas. Contrairement au fer les quantités ingérées de zinc étaient très variables en fonction des repas en raison de la forte teneur en zinc des viandes. Plus il y a de viande dans le repas plus la quantité de zinc est importante. A quantité égale de viande l’absorption de zinc était moins importante avec le repas B, qui contenait 50% d’acide phytique en plus, que dans le repas C. D’une manière générale, pour des repas contenant des quantités de protéine équivalentes, le taux de couverture des besoins physiologiques en fer est divisé par plus de 2 entre le repas incorporant 60% de protéines sous forme de viande et celui dans lequel la viande est complétement remplacée par le substitut végétal. C’est également le cas pour la couverture des besoins physiologiques en zinc (Figure 5).
Globalement les résultats ont montré que dès que l’apport en protéines animales diminue, on observe une baisse significative de la couverture des besoins en fer, en zinc et en lysine, et ce phénomène est d’autant plus marqué avec le remplacement total de la viande par l’alternative végétale que nous avons utilisée (Repas D vs A). Les résultats auraient peut-être été différents avec une autre alternative végétale (autre source de protéines notamment), notre étude montre toutefois que le choix de ces nouveaux aliments peut avoir des conséquences très importantes sur la couverture de nos besoins nutritionnels, en raison de la nature intrinsèque du produit mais également de ses interactions avec les autres aliments. Nos résultats montrent également que même en quantité limitée (1/3 de l’apport protéique), la présence de viande dans la recette étudiée demeure la meilleure option pour couvrir nos besoins en AAI, fer et zinc, tout en restant dans des quantités d’aliment et d’énergie à ingérer raisonnables.
Figure n° 5 : Couverture des besoins physiologiques de l’homme (18-65 ans) en protéines, lysine, fer et zinc (%) pour des repas contenant 30 grammes de protéines.

Références bibliographiques
Anses (2024). Établissement de repères alimentaires destinés aux personnes suivant un régime d’exclusion de tout ou partie des aliments d’origine animale – Revue systématique des études sur les liens entre les régimes végétariens et la santé. (saisine 2019-SA-0118). Maisons-Alfort: Anses, 169 p. https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2019-SA-0118-rapport.pdf
FAO. (2013). Dietary protein quality evaluation in human nutrition: report of an FAO Expert Consultation. Food and nutrition paper. 92. FAO: Rome. https://openknowledge.fao.org/items/53cf3d0a-1db2-4667-823a-e9d73278efe9
Kavanaugh, M., Rodgers, D., Rodriguez, N., & Leroy, F. (2025). Considering the nutritional benefits and health implications of red meat in the era of meatless initiatives. Frontiers in Nutrition, 12, 1525011. https://doi.org/10.3389/fnut.2025.1525011
Le Bourgot C, Liu X, Buffière C, Hafanaoui N, Salis L, Pouyet C, Dardevet D, Rémond D. (2023). Development of a protein food based on texturized wheat proteins, with high protein digestibility and improved lysine content. Food Research International. 170, 112978. https://doi.org/10.1016/j.foodres.2023.112978
Pişkin, E., Cianciosi, D., Güleç, Ş., Tomas, M., & Capanoglu, E. (2022). Iron Absorption: Factors, Limitations, and Improvement Methods. ACS Omega, 7, 20441-20456. https://doi.org/10.1021/acsomega.2c01833
Vieux, F., Rémond, D., Peyraud, J.-L., & Darmon, N. (2022). Approximately half of total protein intake by adults must be animal-based to meet non-protein, nutrient-based recommendations, with variations due to age and sex. The Journal of Nutrition, 152(11), 2514-2525. https://doi.org/10.1093/jn/nxac150