Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

Méthane 2030 : la réduction du méthane entérique émis par les bovins

 
Présentation de la démarche collective française qui a pour objectif d'identifier et de développer des solutions de réduction des émissions de méthane entérique des bovins.

Les filières bovines et les acteurs de la R&D développent une approche multi-leviers pour élaborer des solutions de réduction de l’empreinte carbone des produits animaux adaptées à une diversité d’élevages.
(Cet article est le premier d’une série de cinq issus des interventions scientifiques aux Matinales de la Recherche 2025 d’Interbev, le 25 mars 2025).

INTRODUCTION

Méthane 2030 est une démarche collective française qui a pour objectif d'identifier et de développer des solutions de réduction des émissions de méthane entérique des bovins. Ce programme a été lancé fin 2023 dans le cadre de la Stratégie nationale bas carbone. Les solutions qui en découleront seront déployées à travers l'outil de diagnostic environnemental CAP'2ER® et les outils génétiques via les réseaux de conseil en élevage, à destination de tous les éleveurs bovins.

I. LA MESURE OU L’ESTIMATION DES EMISSIONS DE CH4 A L’ECHELLE ANIMALE


Les travaux sur les leviers de réduction des émissions de méthane (CH4) des bovins requièrent une capacité de mesure à suffisamment grande échelle pour construire des références solides extrapolables. Il existe différentes méthodes pour mesurer les émissions de méthane par les herbivores. La mesure en chambre respiratoire est la référence absolue.

I.1. GreenFeed (C-Lock Inc., Rapid City, SD, USA)

Le GreenFeed (Figure 1, EFSA Journal, 2021) est une méthode alternative plus accessible que la chambre respiratoire et largement utilisée en recherche. Il s’agit d’un distributeur d’aliments couplé à un analyseur des gaz éructés. Il reste assez onéreux (~80 k€ hors consommables) et nécessite un suivi rigoureux.

Figure 1 : GreenFeed installé sur une remorque pour être utilisé au pâturage (B. Deroche, Idele).

Methane 2030 Fig1

I.2. Des méthodes approchées basées sur des indicateurs périphériques

D’autres équipements ou d’autres méthodes plus indirectes sont utilisés pour estimer les émissions de méthane des herbivores :
Sniffer : il estime des concentrations en CH4 dans l’air (converties en flux). Il est généralement installé au sein d’un robot de traite. Il a des résultats encourageants et est utilisable à grande échelle.
Laser Methane Detector : il s’agit d’un pistolet laser infra- rouge permettant d’estimer une concentration en CH4 (convertible en flux). Il est moins précis, mais utilisable en conditions variées.
Équations de prédiction : l’équation faisant référence actuellement s’appuie sur des paramètres de la ration ingérée et sur le poids vif (Sauvant et al., 2018). Un autre type d’équation considère le profil en acides gras du lait et la production laitière (Bougouin et al., 2019). D’autres équations ont été établies à partir de spectres moyen infrarouge du lait (Fresco et al., 2024) ou de spectres proche infrarouge des fèces (Andueza et al., 2022). Quelques prédicteurs prospectifs sont envisagés (ex. : microbiote ruminal).
Malgré ces progrès, il demeure un besoin important de tests, de consolidations et de validations des cadres d’application de ces différentes méthodes.

II. LES LEVIERS TECHNIQUES ENVISAGEABLES EN ELEVAGE BOVIN


La bibliographie est abondante sur les leviers potentiels ou confirmés pour réduire les émissions de méthane. Elle révèle que le potentiel de réduction du méthane entérique des bovins est de l’ordre de 50% en combinant les leviers.

II.1. Alimentation des animaux

Par le lien entre digestion de la cellulose et fermentations ruminales, les choix alimentaires peuvent réduire les émissions de CH4 de 10 à 20 % (amidon/lipides vs fibre, digestibilité, présence de légumineuses, teneurs en tanins…) (Martin et al., 2010, 2021).
Selon les espèces végétales, le stockage du carbone dans le sol peut varier, renforçant ainsi l’effet d’atténuation des émissions carbonées.

II.2. L’ajout d’ingrédients ou compléments nutritionnels

Les principales solutions disponibles sur le terrain ou à l’étude sont : 3-NOP (Bampidis et al., 2021, Honan et al.., 2022) (-20 à -40 %), nitrates (-10 à -20 %), extraits d’algues (prometteur mais à mieux investiguer), extraits végétaux et charbon actif. Ces solutions sont mises en œuvre via l’ajout, sous différentes formes, à la ration des animaux.
L’opérationnalité et l’effectivité en conditions réelles, notamment au pâturage, ainsi que les éventuels effets indirects, ou encore les dimensions d’acceptabilité sociétale et économique sont à étudier précisément.

II.3. La conduite du troupeau

Les pratiques permettant d’améliorer l’efficience de l’élevage (rapport entre productions et temps d’élevage des animaux) et qui n’ont pas un effet direct d’augmentation des rejets de CH4 des individus, améliorent l’empreinte méthane. En effet, la conduite du troupeau peut intervenir à hauteur de 10 à 20 % dans la réduction des émissions de CH4.

II.4 La sélection des animaux

Une sélection directe contre les émissions de CH est possible (Renand et al., 2018) et peut permettre, après une phase d’initialisation, une baisse de -10 à -15 % en dix ans (De Haas et al., 2011). Mais la génétique peut contribuer aussi indirectement au travers d’une amélioration de l’efficience productive (longévité, précocité, santé, format des animaux, production…). Afin de tenir compte des corrélations et compromis entre les différents caractères, une approche multi-caractères sera développée en parallèle de l’approche directe. La constitution d’une population de référence (animaux disposant à la fois de mesures d’émissions de CH4 et de génotypes ou à défaut généalogies) de taille et de qualité suffisante pour établir une évaluation génétique directe est complexe et prendra beaucoup de temps en bovin viande.

II.5. Utilisation de ces différents leviers

Parmi ces différentes solutions, certaines sont déjà disponibles (utilisables sur le terrain, par exemple le 3-NOP, l’amélioration de l’efficience animale…) alors que d’autres ne sont qu’au stade de preuves de concept nécessitant des travaux de R&D pour aboutir à une application sur le terrain, et beaucoup sont en situation intermédiaire entre la preuve de concept et l’application. Il manque en particulier de références d’émissions de CH4 pour couvrir les différents systèmes et types de bovins (ex. en allaitant), ou sur les modalités d’utilisation de fourrages, types de concentrés et compléments dans différents contextes avec les gains attendus réels, durée de rémanence, tout en contrôlant les éventuels effets indésirables.

III. METHANE 2030 : UN PROGRAMME GLOBAL ET MULTIDISCIPLINAIRE

Méthane 2030 a été conçu selon une stratégie d’agrégation des connaissances et leviers, d’amplification pour toucher un maximum de systèmes et pratiques, d’accélération et d’accompagnement des éleveurs. Labellisé par Valorial, il est soutenu financièrement par France 2030, les professionnels du secteur, l’UE (France Relance) et le Casdar. Il a débuté fin 2023 et se terminera en juin 2028. Il s’appuie sur consortium large porté par APIS-GENE pour le compte des interprofessions bovins lait (Cniel), bovins allaitants (INTERBEV) et la Confédération Nationale de l’Elevage. Il réunit l’Institut de l’Élevage, Inrae, plusieurs chambres d’agriculture, Eliance, Races de France, F@rmXP, ABCIS et France Génétique Elevage.

L’objectif est d’élaborer un panel de solutions basses émettrices de CH4 pour un déploiement basé sur CAP’2ER® et la sélection génomique via les réseaux de conseil en élevage. L’ambition est de permettre, par la mise en œuvre des solutions, la réduction des émissions de CH de l’élevage bovin français de -30 % à échéance de dix ans.

Figure 2 : Organisation de Méthane 2030

Methane 2030 Fig2

Le programme est découpé en lots (Figure 2). Deux sont consacrés à la gestion des données et aux méthodes de mesure et estimation du CH4 (en considérant le GreenFeed comme méthode de référence). Le lot 4 est consacré à la mise en œuvre de près de trente essais zootechniques grâce à un réseau de quinze fermes expérimentales et deux stations génétiques privées. Une dizaine de solutions nutritionnelles seront testées, en plus des combinaisons de races, systèmes et types d’animaux. Le lot 5 porte sur le déterminisme génétique et à l’élaboration de solutions de sélection génomique multi-caractère. Le lot 6 s’intéresse à la combinaison des leviers à l’échelle des systèmes et de territoires, incluant des comparaisons à l’international. Le lot 7 vise à agréger ces connaissances pour former une « boîte à outils » et des méthodes pour accompagner les éleveurs dans l’application des solutions.

CONCLUSION

Dans une démarche collective de transition et de résilience, les travaux de Méthane 2030 participent aux actions de réduction des émissions de GES en élevage, permettant de réaliser l’engagement des filières bovines dans la Planification écologique qui vise une réduction de 5 millions de tonnes eq. CO2 des bovins à horizon 2030. En se basant sur CAP’2ER®, sur la sélection génomique et sur une approche de conseil global, Méthane 2030 outillera un service complet aux éleveurs pour réduire les émissions de CH4 de leurs fermes. Pour les filières ruminants, il s’agit de contribuer à une réduction durable de leur empreinte carbone, adaptée à la diversité des contextes. Avec Méthane 2030, scientifiques et professionnels des filières bovines positionnent clairement l’élevage comme un acteur à la fois de la décarbonation et de la souveraineté alimentaire.

Références bibliographiques

Andueza D, Picard F, Pourrat J, Vanlierde A., Nozière P., Cantalapiedra-Hijar G., Morgavi D., de La Torre A., Dehareng F., Martin C., Renand G. (2022). Phenotyping of enteric methane emissions and intake from near-infrared spectra of beef cattle faeces. 73th EAAP International Symposium on Energy and Protein Metabolism and Nutrition, Sep 2022, Granada, Spain. Granada, Spain.
Bampidis V, Azimonti G, de Lourdes Bastos M, et al.. (2021). Safety and efficacy of a feed additive consisting of 3-nitrooxypropanol (Bovaer® 10) for ruminants for milk production and reproduction (DSM Nutritional Products Ltd). EFSA Journal, 19(11), 6905. https://doi.org/10.2903/j.efsa.2021.6905
Bougouin A, Ranga Niroshan Appuhamy JAD, Ferlay A, et al. (2019). Individual milk fatty acids are potential predictors of enteric methane emissions from dairy cows fed a wide range of diets: Approach by meta-analysis. Journal of Dairy Science, 102(11), 10616-10631. https://dx.doi.org/10.3168/jds.2018-15940
De Haas Y, Windig JJ, Calus MPL, et al. (2011). Genetic parameters for predicted methane production and potential for reducing enteric emissions through genomic selection. Journal of Dairy Science, 94(12), 6122-6134. https://doi.org/10.3168/jds.2011-4439
Fresco S, Vanlierde A, Boichard D, et al. (2024). Combining heterogeneous GreenFeed measurements to predict methane emissions from cow milk mid-infrared spectra and phenotypes. Animal, 18, 101200. https://doi.org/10.1016/j. animal.2024.101200
Honan M, Feng X, Tricarico JM, et al. (2022). Feed additives as a strategic approach to reduce enteric methane production in cattle: modes of action, effectiveness and safety. Animal Production Science, 62, 1303-1317. https://doi.org/10.1071/AN20295
Martin C, Morgavi DP, Doreau M. (2010). Methane mitigation in ruminants: from microbe to the farm scale. Animal, 4, 351–365. https://doi.org/10.1017/S1751731109990620
Martin C, Nidekorn V, Maxin G, et al. (2021). The use of plant bioactive compounds to reduce greenhouse gas emissions from farmed ruminants. In Reducing greenhouse gas emissions from livestock production. Editions Burleigh Dodds Science Publishing. 358 pages. https://dx.doi.org/10.19103/as.2020.0077.13
Renand G, Vinet A, Decruyenaere V, et al. (2018). Methane and carbon dioxide emission of beef heifers in relation with growth and feed efficiency. Animal, 9, 1136. https://doi.org/10.3390/ani9121136
Sauvant D, Giger-Reverdin S, Eugene M. (2018). Émissions de méthane entérique. Alimentation des ruminants : Apports nutritionnels - Besoins et réponses des animaux - Rationnement - Tables des valeurs des aliments, 4ème edition., Paris, Éditions Quae, 243-247.

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