La revue Viandes et produits carnés

La revue française de la recherche en viandes et produits carnés  ISSN  2555-8560

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 PROCESS ET TECHNOLOGIES

 
 

Digestion des protéines des viandes en fonction de la cuisson

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Influence de la température de cuisson sur la digestion des protéines des viandes : approches in vitro et in vivo

Cet article est tiré d’une partie des résultats du projet PRONUTRIAL financé par l’ANR qui a réuni des spécialistes en sciences des aliments, des nutritionnistes, un centre technique et une structure de vulgarisation des données scientifiques. Le contexte actuel de vieillissement des populations pose des questions sur les stratégies alimentaires qui vont permettre de garantir à ces populations leurs besoins physiologiques en termes d’apport protéique dans une optique de maintenir le plus possible un degré d’autonomie. Les protéines animales, notamment celles de la viande sont indéniablement des protéines de haute valeur nutritionnelle à condition d’appliquer des traitements technologiques ad hoc.

1352 0014 jpgINTRODUCTION

En France, la consommation de produits carnés représente près d’un tiers des protéines totales ingérées. Par leur abondance et leur équilibre en acides aminés indispensables, les protéines de la viande confèrent à cet aliment une forte valeur nutritionnelle. Cette valeur peut cependant être modulée par l’efficacité de leur utilisation digestive. Les rares études réalisées chez l’Homme, montrent que la digestibilité des protéines de la viande, mesurée sur l’ensemble du tractus digestif, est très élevée (95-97%) (Oberli et al., 2015 ; Silvester et Cummings, 1995). La mesure de la digestibilité revient à évaluer la quantité des protéines alimentaires digérées dans l’intestin grêle participant à la fourniture d’acides aminés pour l’organisme. Par ailleurs, l’absorption des acides aminés au niveau du gros intestin est très limitée, voire inexistante, principalement en raison de l’absence d’une concentration significative d’acides aminés libres ou de peptides à l’intérieur de ce compartiment digestif. L’efficacité de la digestion dans l’intestin grêle va dépendre de l’efficacité de la digestion en amont dans l’estomac. Celle-ci est en partie déterminée par la structure et la mastication de l’aliment.

Concernant l’aliment viande, il est important de souligner que les protéines subissent généralement un ou plusieurs traitements technologiques avant d’être consommées. Trois grandes catégories de traitement existent : le traitement mécanique qui consiste à déstructurer le produit puis à le réassembler ; le traitement chimique qui, par action de solutés (sels, acides, épices,...), va modifier la structure et la composition du tissu ; et le traitement thermique pour lequel les effets sont variables selon la température et la durée ciblées. Lors de ces traitements, la macro- et la microstructure de la matière première sont modifiées par le biais des changements physico-chimiques impliquant les protéines, les lipides et les micronutriments. Ces modifications de structure à l’échelle de l’aliment sont susceptibles de modifier, et notamment de réduire, l’accessibilité aux sites de coupures pour les enzymes de la digestion. Le devenir digestif des protéines est ainsi susceptible d’être modifié par la nature des opérations unitaires impliquées dans la préparation des viandes et notamment par les traitements thermiques. Les principaux résultats obtenus in vitro et in vivo sur l’impact des procédés sur la digestion des protéines, résultats obtenus in vitro et in vivo, sont présentés dans ce document. Ces résultats représentent une partie du projet PRONUTRIAL (ANR-09-ALIA-008-01) financé par l’agence nationale de la recherche (ANR).

I. DEFINITION DE PARAMETRES DE DIGESTION IN VITRO

I.1. Design expérimental

L’étude a porté sur le muscle Longissimus de porc issus de 12 porcs élevés de façon conventionnelle (groupe A, n=6) ou en plein air (groupe B, n=6)). Chaque muscle a été maturé 4 jours.
Pour évaluer l’effet de la maturation, des prélèvements ont été effectués à 1 jour et 4 jours post mortem. Pour évaluer l’effet de la cuisson, les échantillons (n=12) ont tout d’abord été analysés crus et après cuisson. Trois traitements thermiques ont été sélectionnés : 70°C, 100°C et 140°C pour une même durée de 30 minutes (n=12 par condition).

Les données ont été analysées avec un modèle d’analyse de variance à deux effets (durée de maturation, température de cuisson).

I.2. Modèle de digestion in vitro

Pour les études de screening d’une multitude de procédés technologiques, un modèle de digestion in vitro mimant les étapes gastriques et intestinales a été développé. Il s’agit d’une digestion in vitro à la pepsine seule (étape gastrique) et ensuite avec un mélange de trypsine et chymotrypsine (étape intestinale). Pour comparer toutes les conditions de process testées, plusieurs paramètres de digestion ont été définis et caractérisés. Ainsi d’après la Figure 1, six paramètres sont décrits :

  1. La vitesse initiale de digestion mesurée sur les 15-20 premières minutes (pente initiale en Figure 1A).
  2. Le potentiel de dégradation maximale ou la densité optique (DO) maximale que peut atteindre la cinétique de digestion (Figure 1A).
  3. Le temps de demi-vie qui correspond à la durée nécessaire pour dégrader la moitié des protéines présentes en suspension (Figure 1A).
  4. La vitesse initiale maximale que peut atteindre la cinétique de digestion (Figure 1B).
  5. Le temps que met l'enzyme pour atteindre la vitesse initiale maximale (Figure 1B)
Figure 1 : Allure de la courbe de digestion (A), paramètres de digestion (B après calcul de la dérivée de la courbe de la Figure 1A) et équations correspondantes (C)

 Figure 1

II. IMPACT DE LA DUREE DE MATURATION ET DE LA TEMPERATURE DE CUISSON DE LA VIANDE SUR LES PARAMETRES DE DIGESTION

Les pertes de poids à la cuisson représentent 21,5% à une température de 70°C, 31,5% pour 100°C et 58,2% pour 140°C. Ces valeurs sont comparables à celles de la littérature (Aaslyng et al., 2003). Ni la vitesse initiale, ni la dégradation maximale (Figures 2 et 3) de digestion des viandes ne diffèrent au cours de la maturation, qui est de 4 jours pour de la viande de porc, Ce résultat est en accord avec les données obtenues sur des viandes d'agneau conservées pendant une semaine et avec une quantité de pepsine deux fois supérieure à nos conditions (Santé-Lhoutellier et al., 2008). Par contre, un traitement thermique à 70°C résulte en une augmentation de la vitesse de digestion à la pepsine, qui n’est plus observée à 100°C et 140°C (Figure 2). Ce résultat peut s’expliquer par des modifications structurales des protéines induites par l’action du chauffage qui accroissent la bio-accessibilité accrue des protéases digestives. Une des explications plausibles est que les acides aminés aromatiques (acides aminés hydrophobes et correspondant aux sites de coupure de la pepsine) se retrouvent en surface des protéines de la viande, au lieu d’être internalisés comme c’est le cas d’une structure native de protéine soluble.  A des températures supérieures (Figure 2), s’ajoutent à l'augmentation de l'hydrophobie de surface, des phénomènes d'agrégation, qui sembleraient limiter l’accessibilité de la pepsine à ses sites de coupure.

Figure 2 : Vitesse initiale de digestion in vitro à la pepsine en fonction de la durée de maturation et de la température de cuisson de la viande

 Figure 2

Figure 3 : Effets de la maturation et des traitements thermiques sur l’hydrolyse maximale

Figure 3

III. IMPACT DE LA TEMPERATURE DE CUISSON SUR LES STRUCTURES MOLECULAIRES ET TISSULAIRES

Afin de mieux comprendre les mécanismes moléculaires à l’origine des modulations de vitesse de digestion et digestibilité des protéines de viande cuite, nous nous sommes intéressés aux caractéristiques physico-chimiques des protéines. Il s’agit de paramètres de forme des protéines obtenus par granulométrie laser, et des changements oxydatifs et structuraux des protéines. L’objectif est de mettre en relation les données de paramètres de digestion recueillis précédemment et les structures protéiques modifiées par les traitements thermiques.  Les résultats de changements de structure et d’agrégations protéiques sont présentés dans le Tableau 1. Les résultats montrent qu'il y a une augmentation du nombre de particules ainsi qu'une augmentation de la circularité et du ratio Feret en ce qui concerne l’effet de la durée de maturation de la viande. Les traitements thermiques au-delà de 100°C réduisent de façon drastique le nombre et le diamètre des particules et conduisent à une augmentation de leur circularité. Ces données mettent en évidence la formation d'agrégats protéiques à la cuisson et renseignent sur la perte de la structure fibreuse des particules en faveur de structures plus compactes. Ces résultats sont en accord avec les travaux de Promeyrat et al. (2010) qui rapportent une augmentation graduelle de la circularité des agrégats en fonction de la cinétique de chauffage.

Tableau 1 : Paramètres d'agrégation protéique

tableau 1

Avec l’objectif d’évaluer le rôle de la composition du tissu musculaire, la susceptibilité des protéines à s’oxyder a été comparée entre des viandes issues de porcs élevés de façon conventionnelle (groupe A) ou en plein air (groupe B). Même si les viandes de porc élevés en plein air renferment plus d’enzymes antioxydantes (Bax et al., 2013), les différences entre les 2 groupes ne sont pas significatives. Les modifications physicochimiques des protéines au chauffage soulignent l’importance de la dénaturation protéique qui opère dès 70°C comme le souligne l’augmentation d’intensité d’hydrophobie de surface par rapport à la viande crue maturée 1 ou 4 jours (Figure 4B). L’oxydation protéique présente une augmentation progressive en fonction de la température et qui est significative entre 100 et 140°C (Figure 4A). Dans nos conditions, nous n’avons pas fait varier la durée de chauffage qui était de 30 minutes. On sait que l’oxydation lipidique suit une courbe en cloche (résultat non montré). Dans nos conditions, nous observons que les produits de peroxydation augmentent avec la température jusqu’à 70°C. Ensuite, ces produits réagissent avec des protéines notamment pour former des bases de Schiff ou bien deviennent volatils et ne peuvent être détectés avec la méthode utilisée.  Ces bases de Schiff constituent une première étape dans l’agrégation à l’échelle moléculaire et de nouvelles interactions moléculaires.
En résumé, le potentiel nutritionnel de la matrice viande est directement impacté par les changements structuraux, eux-mêmes induits par les traitements technologiques.

Figure 4 : A - Oxydation des acides aminés basiques (lysine, arginine et histidine) exprimée en nmoles de carbonyles par mg de protéines – B - mesure de l’hydrophobie de surface des protéines exprimée en µg de bleu de bromophénol (BBP) lié aux protéines myofibrillaires

Figure 4

A l’échelle tissulaire, on observe que la cuisson provoque une importante contraction latérale des cellules (correspondant à une réduction du diamètre des fibres) plus marquée à 60°C qu’à 90°C.  La méthodologie appliquée (chauffage sur coupe de tissu) ici ne permet pas d’étudier de hautes températures. Cependant, dès 60°C, la rétractation des cellules est aisément observable (Figures 5A et 5B). Par ailleurs, les résultats montrent que le chauffage modifie la structure du tissu conjonctif, mais ce dernier reste en place et conserve partiellement son antigénicité comme le prouvent les immunomarquages du collagène (coloration verte) et de la laminine (coloration rouge) encore visibles (Figure 5C et 5 D). La laminine est une protéine située sur la lame basale des cellules musculaires. Un immunomarquage de la laminine permet de bien visualiser la délimitation des cellules. Cependant, il faut noter que le temps de mesure (correspondant au temps d’exposition des coupes cellulaires) a été quadruplé pour que le niveau de fluorescence du collagène et de la laminine soit équivalent à celui de la viande crue (témoin). Cela nous renseigne sur la perte d’antigénicité des protéines étudiées due au chauffage, perte cependant difficile à quantifier. Cette perte d’antigénicité peut être la résultante de la contraction du collagène au chauffage et de sa gélatinisation partielle. En effet, la gélatinisation du collagène s’accompagne d’une modification des hélices des chaines alpha et la formation de boucles. Plus les chaines alpha sont courtes, plus les repliements et la formation de boucles seront importants.

Figure 5 : Effet du chauffage sur l’évolution du tissu conjonctif (60°C) : coloration du collagène en rouge (A et B) ; détection du collagène par immunofluorescence (C) et de la laminine par immunofluorescence (D)

Figure 5

A l’échelle ultrastructurale, après une cuisson à 60°C, les myofibrilles apparaissent plus claires que dans la viande crue (Figure 6). Une ondulation des myofibrilles, probablement consécutive à la contraction du collagène dans l’espace extracellulaire, est alors mise en évidence. L’espace extramyofibrillaire semble augmenter après traitement thermique. Les coupes longitudinales permettent de repérer aisément les stries Z et les sarcomères, repères toujours visibles après chauffage. Cependant, les myofilaments ne sont plus distingués, vraisemblablement en raison de la coagulation des protéines myofibrillaires (Figure 6).

Figure 6 : Coupes transversales et longitudinales de viandes crue (C0), chauffée à 60°C (C1) et 90°C (C2). d0 : échantillon non digéré, d1 : échantillon digéré à la pepsine, d2 : échantillon digéré à la pepsine + trypsine/chymotrypsine

Figure 6Après chauffage, on note l’apparition de déstructuration sous la forme de microbulles au niveau de la bande I à proximité de strie Z. L’α-actinine, principal constituant de la strie Z est la plus labile et coagule à 50°C et la dénaturation de la tropomyosine dans les filaments fins a lieu entre 35°C et 60°C. Les caractéristiques thermiques de ces protéines pourraient expliquer ces modifications morphologiques de la bande I. De plus, des micro-trous sont visibles dans la bande A, en particulier, à proximité de ligne M. La MyBP-C (Myosin Binding Protéine C), qui est un composant de cette zone, semble être plus sensible à la cuisson que le reste de la bande A. La myosine, majoritaire dans la bande A, se dénature à partir de 55°C.
Les sections transversales mettent aussi en évidence des modifications ultrastructurales importantes au niveau des myofibrilles qui présentent des trous ou des zébrures blanches, ceci quelle que soit la température de chauffage. Enfin, le volume d’espace extramyofibrillaire est maximum pour une température de chauffage de 60°C, sans que l’on puisse expliquer ce résultat.
Pour une cuisson à 90°C, des cassures de grande taille sont observées sur les myofibrilles. L’aspect des membranes est préservé mais, comme lors de la cuisson à 60°C, la masse myofibrillaire s’est contractée, laissant apparaitre des espaces subsarcolemmaux importants contenant de nombreux agrégats protéiques. La strie Z est épaisse et discontinue et la bande I est très affectée par le traitement. Ces structures semblent plus dégradées que dans le cas d’une cuisson à 60°C. Contrairement au témoin cru, les myofilaments sont complètement coagulés et il est impossible de les distinguer. Ce résultat s’explique en partie par le fait que la myosine se dénature aux alentours de 55°C et l’actine, la troponine et la tropomyosine vers 80°C. La longueur des sarcomères diminue de 15,7 % après une cuisson à 90°C.
L’ensemble de ces données histologiques et immunohistologiques permet de visualiser les changements structuraux que subissent les matrices carnées et les protéines lors de la cuisson à l’échelle de la cellule musculaire Ce sont des données importantes pour mieux comprendre les mécanismes à l’origine, par exemple, de la variation de la vitesse de digestion, et de la digestibilité des viandes après cuisson.
Il est apparu important de développer des approches de modélisation de ces phénomènes en raison de la multitude de conditions de process, de type de matrice, etc. Ces travaux de modélisation en cours, prennent en  compte, outre les données de process et du type de matrice, celles de la physiologie de la digestion, à savoir le pH et l’activité des enzymes digestives.

 

IV. IMPACT DE LA CUISSON SUR LES PARAMETRES DE DIGESTION IN VIVO DES PROTEINES DE LA VIANDE

IV.1. Modèle mini porc

L'évaluation de la qualité d'une source de protéines est habituellement basée sur la composition en acides aminés (AA) et la digestibilité des protéines dans le tube digestif. On sait maintenant que ces critères ne suffisent pas à décrire pleinement le potentiel nutritionnel d'une protéine. Par exemple, il a été montré que la vitesse de digestion des protéines régule la rétention postprandiale des protéines alimentaires dans l’estomac (Dangin et al., 2003) . En outre, la digestibilité totale n'est pas un bon prédicteur de la biodisponibilité des acides aminés. Les mesures de digestibilité iléale vraie (TID pour « True Ileal Digestibility ») sont donc plus appropriées, mais elles sont difficiles à obtenir chez l'homme sain. Quelques mesures de TID ont été réalisées sur des protéines isolées, par la collecte du chyme iléal en utilisant une sonde naso-intestinale (Bos et al., 2005 ; Mariotti et al., 1999). Il existe très peu d’études sur la digestion in vivo des protéines carnées. Chez l’Homme, le coefficient d’utilisation digestive des protéines de la viande, mesuré sur l’ensemble du tractus digestif, est très élevé (97-100%, Young et al., 1975, Wayler et al., 1983). Des études chez le rat montrent que cette valeur n’est pas affectée par la teneur en collagène de la viande, bien que les protéines du tissu conjonctif soient plus résistantes à l’attaque des enzymes protéolytiques (Laser-Reutersward et al., 1982). L’intérêt de ces mesures sur l’ensemble du tractus digestif est cependant limité. En effet, seules les protéines alimentaires digérées dans l’intestin grêle participent à la fourniture d’acides aminés pour l’organisme. De plus, ces mesures ne renseignent pas sur la quantité et la nature des protéines alimentaires entrant dans le côlon, celles-ci pouvant influencer la nature de la flore résidante et les produits terminaux des fermentations. La digestibilité dans l’intestin grêle des protéines de la viande a été rarement mesurée chez l’homme en raison des difficultés de prélèvement d’effluents iléaux suite à l’ingestion d’un aliment solide. L’unique étude dans le domaine, réalisée sur des patients iléostomisés, montre que les mécanismes de la digestion dans l’intestin grêle sont très efficaces vis-à-vis des protéines carnées, et que leur digestibilité mesurée à la fin de l’intestin grêle est très élevée (0,94 ; Silvester et Cummings, 1995). Cependant, il n’existe pas de travaux permettant d’évaluer l’impact du type de viande ni des traitements technologiques sur ce paramètre. Les travaux visent à déterminer l’impact des traitements technologiques sur les paramètres de la digestion dans l’intestin grêle (vitesse et quantité absorbée), et sur la nature et la quantité des protéines résiduelles entrant dans le gros intestin.
Pour les mesures de digestion in vivo le mini porc est utilisé comme animal modèle. Bien que la digestibilité dans l’ensemble du tractus digestif soit légèrement plus élevée chez le porc que chez l’homme, l’importance de la digestion avant le gros intestin est équivalente (Rowan et al., 1994). Les animaux sont équipés d’une canule au niveau de l’iléon terminal pour permettre le prélèvement des contenus digestifs à la fin de l’intestin grêle. Ils sont également équipés d’un cathéter vasculaire permanent (aorte abdominale) pour déterminer la cinétique d’apparition des acides aminés alimentaires dans le compartiment sanguin périphérique.
Pour permettre la différenciation entre les protéines alimentaires et  les protéines endogènes dans les effluents iléaux, les viandes sont issues d’un bovin dont les protéines corporelles sont préalablement marquées avec de l’azote-15 (15N).
Cette approche a été testée en utilisant un veau perfusé par voie intraveineuse avec un cocktail d’acides aminés marqués contenant 99% de 15N. L’enrichissement en 15N obtenu dans les muscles au bout de 15 jours a été de 0.5%. Après abattage, la viande marquée a été cuite, hachée et distribuée à des miniporcs. Des prélèvements de contenus digestifs ont été réalisés en cinétique après l’ingestion du repas.

IV.2. Cinétique d’apparition des acides aminés au niveau plasmatique

L'effet de la température de cuisson sur la cinétique d’apparition des acides aminés indispensables (AAI) au niveau plasmatique est présenté dans la Figure 7. Le changement de concentration durant les 3 premières heures après l'ingestion du repas est principalement dû à l'absorption des acides aminés. Ainsi, la cinétique de la concentration plasmatique des acides aminés indispensables dans cet intervalle de temps est un bon indice de la vitesse de digestion. Aussi bien la forme de la courbe (Figure 7) et l'aire sous la courbe indiquent une augmentation de la vitesse de digestion, lorsque la température de cuisson de la viande a augmenté de 60 à 75°C, et une diminution de la vitesse de digestion, lorsque la température a été augmentée de 75 à 95°C. Cependant, ni la concentration plasmatique maximale d’AAI, ni l'aire sous la courbe de l'ensemble de la période post-prandiale (6 h) n’ont été affectées par les températures de cuisson.

Figure 7 : Cinétique d’apparition des Acides Aminés Indispensables (AAI) dans le plasma en fonction de la température de cuisson

Figure 7

Figure 8 : Quantité cumulée d’azote d’origine alimentaire, mesurée dans l’iléon, en fonction de la température de cuisson de la viande ingérée

Figure 7

Une des originalités de notre étude est la production de viande dont les acides aminés ont été uniformément marqués à l’azote 15 pour permettre la distinction de l'aliment et la mesure de la digestibilité réelle dans l’intestin grêle. La vitesse d’apparition des acides aminés dans le sang, suite à l’ingestion des viandes, est supérieure pour une température de cuisson à cœur de 75°C, par rapport à des cuissons à 60 ou 95°C. En revanche, contrairement à ce qui était observé in vitro, nous avons montré que la température de cuisson n’affecte pas la quantité totale de protéines digérées dans l’intestin grêle (environ 95% des protéines ingérées) (Figure 8). In vivo, la capacité enzymatique et le temps de séjour dans l’intestin grêle sont donc toujours suffisants pour compenser d’éventuelles différences de digestion dans l’estomac, et assurer ainsi une hydrolyse maximale des protéines de la viande avant le côlon. Ainsi, le degré de cuisson de la viande va essentiellement influer sur l’efficacité de la digestion par la pepsine, conduisant à une sortie de l’estomac et une attaque des protéines par les enzymes pancréatiques plus ou moins rapides, conditionnant aussi la cinétique d’apparition des acides aminés dans le sang.
Dans cette étude, le rôle de la mastication a été volontairement éludé mais des études menées récemment ont montré que cette dernière avait une influence importante sur la digestion ; il serait donc intéressant d'intégrer cet aspect dans de futures expériences (Sayd et al., 2016).

IV.3. Etude chez l’Homme

Les premiers travaux, réalisés avec 2 modalités de chauffage (55°C, 5 min et 90°C, 45 min), ont débuté. Les résultats disponibles à ce jour montrent, en termes de vitesse de digestion, un passage du repas plutôt plus rapide pour la cuisson à 55°C (les 4 premières heures), contre les 5-6 premières heures pour la cuisson à 90°C. Les mesures de digestibilité des protéines de viande ne sont pas concluantes par rapport à la littérature et nécessitent des corrections par ajout d’un marqueur de repas. En termes de métabolisme, il n’est pas observé de différences quant au transfert de l’azote alimentaire dans les pools d’acides aminés et protéines plasmatiques entre les deux cuissons. En termes de pertes métaboliques, il n’existe pas de différence concernant les pertes d’azote alimentaire dans l’urine. Par contre l’incorporation d’azote dans le pool d’urée corporelle semble plus rapide et plus importante pour la cuisson à 55°C. Les travaux étant en cours, il est prématuré d’établir une conclusion définitive concernant l’Homme.

 

CONCLUSION

Les approches in vitro ont révélé que la température de cuisson est l'un des principaux déterminants de la vitesse de digestion (Bax et al., 2012). Par rapport à la viande crue, la vitesse de digestion augmente avec une température de cuisson proche de 70°C.  Cet effet s'explique par une dénaturation progressive des protéines, qui expose les sites de clivage pour les enzymes digestives, alors qu’à des températures supérieures, des phénomènes d’oxydation conduisent à l'agrégation des protéines, masquant ainsi les sites de clivage. Bien qu’in vivo des facteurs de régulation (tels que les interactions avec les autres constituants alimentaires, les sécrétions enzymatiques, la vidange gastrique, etc.) soient susceptibles de contribuer à l'augmentation des concentrations plasmatiques d’acides aminés indispensables, les mêmes tendances que celles enregistrées in vitro ont été observées, à savoir une vitesse de digestion supérieure pour une température de cuisson autour de 70°C.
En conclusion, la digestibilité des protéines des viandes dans l'intestin grêle est élevée, et ce quelle que soit la température de cuisson et la quantité de viande consommée (données non montrées). De ce fait, les résidus de protéines de viande entrant dans le côlon seront relativement faibles. Cette étude montre que la vitesse de digestion des protéines, un paramètre d'intérêt accru pour la nutrition, peut être modulée par la cuisson de la viande : c’est pour une température de cuisson modérée que la digestion est la plus rapide. Avec des températures élevées, la vitesse de digestion est moindre, même si elle reste bonne. En termes d’implication nutritionnelle, les protéines dites rapides sont plus efficaces pour améliorer l'anabolisme protéique postprandial afin de lutter contre la sarcopénie chez les personnes âgées. Cette étude montre donc l’intérêt de jouer sur les températures de cuisson pour optimiser la vitesse de digestion des protéines de viande. Ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives pour la conception d’aliments à destination des personnes âgées pour lesquelles  la phase orale de mastication revêt une dimension essentielle (Peyron et al., 2017).

 

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