
Abréviations
AM : Atmosphère Modifiée
AM-surO2 : Atmosphère Modifiée surOxygénée
AM-CO : Atmosphère Modifiée contenant du Monoxyde de Carbone
BP : Brunissement Prématuré
CIE a* : Indice Rouge
CO : Monoxyde de Carbone
CO2 : Dioxyde de Carbone
COHb : Carboxyhémoglobine
COMb : Carboxymyoglobine
DeoxMb : Déoxymyoglobine
DLUO : Date Limite d’Utilisation Optimale
Fe : Atome de Fer
Hb : Hémoglobine
LVD : Linéaires de Vente au Détail
Mb : Myoglobine
MetMb : Metmyoglobine
N2 : Azote
Ngb : Neuroglobine
O2 : Oxygène
O2Hb : Oxyhémoglobine
O2Mb : Oxymyoglobine
ppO2 : Pression Partielle d’Oxygène
S/V : Sous Vide
USDA : United States Department of Agriculture (Département Américain de l'Agriculture)
USFDA : US Food and Drug Administration (Administration Américaine Fédérale des Produits Alimentaires et Pharmaceutiques)
UVC : Unité de Vente au Consommateur
Ce premier article décrit les principes du conditionnement des viandes rouges sous Atmosphères Modifiées (AM) avec du monoxyde de carbone (CO) et donne une réflexion sur les perspectives de son application.
Figure 1 : Cycle de la couleur chez la viande rouge
Le CO est produit par la combustion incomplète des matières à base de carbone (Sørheim et al., 1997 ; Robert, 2006). Il est inodore, incolore, insipide, non irritant et non suffocant. Sa densité est très proche de celle de l’air (0,967). Il se diffuse très rapidement dans l’environnement ambiant en occupant tout l’espace disponible, ce qui est potentiellement dangereux dans un environnement clos. Dans le milieu biologique, il est facilement lié au fer bivalent (Fe2+) ou au cuivre (Cu2+) des hémoprotéines. Une petite quantité de CO est naturellement produite dans l’organisme humain (Ishiwata et al., 1996), et rentre dans la régulation de la fluidité et du flux sanguins (Durante et Schafer, 1998). Le CO peut être aussi généré pendant certains traitements technologiques de la viande comme l’irradiation (Nam et Ahn, 2002).
Le CO est qualifié de « tueur silencieux ». Les premières descriptions du CO, et de sa toxicité sont apparues dans la littérature, il y a plus de 100 ans ; identifiées depuis 1895 par Haldane (1895). Les anciens Grecs et Romains utilisaient le CO pour exécuter les prisonniers.
L’action toxique du CO est due au blocage du site de transport de l’O2 de l’hémoglobine (Hb) à cause de la formation de carboxyhémoglobine (COHb) au lieu de l’oxyhémoglobine (O2Hb), ce qui prive l’organisme humain d’O2. Les symptômes d’intoxication apparaissent lorsque la COHb est > 10% (Kao et Nañagas, 2005).
Le fœtus et le nourrisson sont les plus prédisposés aux effets nocifs du CO par rapport aux adultes (Kao et Nañagas, 2004). D’autre part, le risque de développer l’autisme chez les enfants est aussi relié à l’exposition au CO (Jung et al., 2013). L’affinité de l’Hb du sang humain envers le CO est 240 fois > à celle de l’O2. Une faible quantité de CO (= 0,5%) se forme naturellement dans notre organisme à partir de la dégradation des hémoprotéines (Durante et Schafer, 1998). Le pourcentage moyen de COHb chez les non-fumeurs est de 1,2 à 1,5% (tant pour le CO endogène que pour le CO environnemental) et de 3 à 4% chez les fumeurs (Sørheim et al., 1997). Des résultats cliniques ont montré que les enfants nés de mères fumeuses présentaient de faibles développements intellectuel et cognitif (Frydman, 1996). L’accroissement de la durée demi-vie de COHb chez le fœtus (= 18-24 h) par rapport à celle de la mère (= 4-6 h) accentue les effets de l’hypoxie sur son fonctionnement cérébral. D’autres connaissances sur les processus physiologiques impliquant le CO sont disponibles, surtout après la découverte de la neuroglobine (Ngb) de la protéine de l’hème dans le cerveau des vertébrés (Brunori et Vallone, 2006). La Ngb agit comme un réservoir d’O2 en prolongeant l’activité du système nerveux. Elle pourrait aussi participer dans les phénomènes de signalisation biologique (Roderique et al., 2015). Le CO peut avoir une action physiologique sur le fonctionnement du cerveau, il agit comme un signal biologique et, probablement, comme un neurotransmetteur (Barinaga, 1993 ; Verma et al., 1993). Le CO pourrait se produire de façon endogène en tant que protecteur cellulaire par presque toutes les cellules de notre organisme lorsqu’elles sont soumises au stress oxydant ou à des infections (Foresti et al., 2008 ; Otterbein et al., 2003 ; Cheng et al., 2015). Récemment, le CO s’est révélé être un agent thérapeutique potentiel pour le traitement de troubles cardiovasculaires (Li et al., 2009 ; Soni et al., 2011). Certains auteurs ont établi que le CO pourrait être utilisé comme un agent pharmacologique cytoprotecteur (protection anti-inflammatoire) contre plusieurs maladies (Onyiah et al., 2013).
III. EMPLOI DU CO POUR LE CONDITIONNEMENT DE LA VIANDE
L’emploi du CO pour le conditionnement de la viande n’est pas autorisé dans la plupart des pays à cause de ses effets potentiellement toxiques, et son utilisation est controversée, même dans certains pays où il est autorisé. En Norvège, le procédé à faible teneur en CO a conquis 60% du marché de la viande rouge vendue au détail (Sørheim et al., 2001). Le succès commercial et l’innocuité dudit procédé dans ce pays nordique ont contribué à son regain dans d’autres pays comme les États-Unis. La plupart des AM contenant du CO sont privées d’O2, ce qui limite l’oxydation et la croissance des microorganismes aérobies. Le CO peut se lier à la 6ème liaison de coordinence de l’hème située au centre de la Mb, donnant naissance à une couleur rouge cerise vive : carboxymyoglobine (COMb). L’affinité de la déoxymyoglobine (DeoxMb) pour le CO est de 28-51 fois plus grande que celle envers l’O2 (De Santos et al., 2007).
El-Badawi et al. (1964) étaient les premiers à publier un article sur l’utilisation du CO (air + 2% CO) pour le conditionnement de la viande. Ce type de conditionnement est recommandé pour le stockage prolongé de la viande fraîche de sorte que la distribution vers des marchés éloignés puisse être assurée. Le Tableau 1 résume les principales études effectuées, depuis 2010, sur l’utilisation du CO dans le conditionnement des viandes. Les avantages de l’utilisation du CO sont détaillés ci-dessous.
Tableau 1. Résumés des travaux de recherche pendant la dernière décennie sur l’usage de CO dans le conditionnement des viandes rouges
Publications |
Résultats/conclusions |
Bórnez et al. (2010) |
Une atmosphère de 30% CO2 et 0,7% de CO favorise une meilleure couleur et permet une meilleure tendreté de la viande d'agneau. |
Venturini et al. (2010) |
Des biftecks ont été conditionnés sous CO (0,2 et 0,4%) en combinaison avec 21% O2 ou sans O2, le reste de l’atmosphère est composé par CO2 (30%) et N2 (balance). Le meilleur résultat en termes de stabilité de la couleur et d’odeur (vie utile = 21 jours à 2 °C) des steaks est obtenu avec 0,2% de CO et 30% de CO2 sans qu’il ait un risque microbiologique du produit. L’augmentation de CO à 0,4% engendre l’effet d’une “couleur artificielle” selon certains membres du panel. |
Fontes et al. (2010) |
Une saturation du sang frais avec de CO permet d’avoir un produit séché d’une couleur rouge rosâtre attrayante voire même après 12 semaines d’entreposage dans des sacs à faible perméabilité à l’O2. Ce produit peut être utilisé comme un additif dans l’industrie de charcuterie. |
Raines et Hunt (2010) |
Un niveau élevé en CO dans un petit volume gazeux peut avoir une grande influence sur le développement de COMb. Un volume gazeux réduit + une double concentration de CO (0,8%) peut donner une meilleure taille des barquettes tout en maintenant une bonne apparence du produit. Cela permet d’accroître l’efficacité dans la distribution des viandes prêtes à l’emploi et rend ce système de conditionnement plus rentable. |
Jeong et Claus (2011) |
La couleur de la viande de bœuf hachée conditionnée sous CO s’est détériorée graduellement après l’ouverture de la barquette en comparaison avec celle conditionnée S/V. |
Ramamoorthi et al. (2011) |
L’irradiation (= 2 kGy) de la viande rouge combinée au conditionnement sous CO peut engendrer une stabilité de la couleur du produit pendant 28 jours. L’effet négatif de l’irradiation sur la qualité de la viande peut être contourné par la présence de CO. |
Bjørlykke et al. (2011) |
Le CO peut améliorer le bien-être du saumon ou d’autres poissons lors de l’abattage. L’exposition au CO peut également améliorer la qualité des produits obtenus. |
Suman et al. (2011) |
L’incorporation de chitosan permet une amélioration de la couleur rouge de la viande de bœuf hachée conditionnée sous atmosphère : 0,4% CO + 19,6% CO2 + 80% N2. Cette incorporation limite également le BP lors de la cuisson par rapport aux viandes issues d’un conditionnement sous AM-surO2. |
Pivarnik et al. (2011) |
La fumée filtrée contenant vraisemblablement un pourcentage élevé de CO est utilisée pour améliorer le goût, la texture et/ou la couleur du thon (Thunnus albacares). Elle peut aussi prolonger la durée de conservation du produit. |
Linares et al. (2012) |
Les techniques d’étourdissement (électrique ou au gaz) et de conditionnement et de leurs interactions sur la qualité de la viande de l’agneau de la race espagnole “Manchego” ont été évaluées pendant les durées d’entreposage du produit différentes (7, 14 et 21 jours). L’étourdissement au gaz CO permet d’éviter les éventuels effets négatifs d’un étourdissement électrique sur la qualité de la viande. En outre, une atmosphère composée de 30% CO2/69,3% N2/0,7% CO peut conférer à la viande de meilleures qualités en termes de couleur et de tendreté. |
Concollato et al. (2014) |
Le saumon Atlantique traité au CO (injection dans l’eau d’élevage) a subi une rigidité cadavérique précoce, un pH final musculaire post-mortem plus bas et un bon ressuage après la découpe. L’absorption du CO par le muscle du poisson traité, a légèrement augmenté les indices de couleur (CIE L*) et (CIE b*). Cependant, aucune différence significative n’est constatée concernant l’indice rouge (CIE a*) entre les échantillons traités et le témoin, probablement en raison de la teneur en astaxanthine qui peut minimiser les différences de couleur entre les différents groupes. |
Rogers et al. (2014) |
Une atmosphère composée de 0,4% CO, 30% CO2, 69,6% N2 engendre une meilleure stabilité de couleur la viande hachée bovine exposée pendant 20 jours dans les rayons de vente au détail. |
Pereira et al. (2014) |
L’ajout de sang traité par le CO peut être utilisé en remplacement aux nitrites pour production de mortadelle de meilleure couleur. |
Venturini et al. (2014)
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Un conditionnement < 0,2% CO permet la stabilité de la couleur des biftecks et de la viande hachée pendant 28 jours à 1 ºC, voir même en présence d’une quantité résiduelle d’O2 (proche de 0,1%). Après 28 jours d’entreposage sous CO suivi d’une exposition à l’air/24 h, les biftecks et la viande hachée ont conservé leur apparence acceptable et une couleur visuelle semblable ou plus prononcée que celle de la viande fraîche. Cependant, au-delà de 24 h d’exposition à l’air, l’apparence et l’odeur des deux produits sont considérées “légèrement désagréable” par le panel. |
Lavieri et Williams (2014) |
Ces auteurs ont étudié les effets de plusieurs systèmes de conditionnement de la viande hachée bovine entreposée à 4 ± 1 °C/25 jours. Dans cette étude, aucun risque potentiel pour la santé et aucune déception de la part des consommateurs n’ont été observés alors que la couleur stable « rouge cerise» est restée persistante. |
Liu et al. (2014)
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Une atmosphère composée de 0,4% CO/30% CO2/69,6% N2 provoque une meilleure stabilité de la couleur chez certains muscles bovins et en particulier le Psoas majeur (PM). Le PM et le Longissimus thoracis (LT) ont présenté une couleur plus attrayante que le Longissimus lumborum (LL). Cependant, une atmosphère suroxygénée (80% O2) engendre une couleur moins accentuée de ces uscles. Durant toute la période d’entreposage, les biftecks emballés sous CO ont maintenu une capacité de rétention d’eau plus élevée que ceux emballés sous O2 et, après l’ouverture des barquettes, la couleur rouge des steaks emballés sous CO s’est détériorée plus lentement que celle des steaks emballés sous haute concentration en O2. |
Fontes et al. (2015) |
Le sang de porc saturé en CO (99%) peut substituer la viande jusqu’à 20% dans la préparation de la mortadelle. Par conséquent, d’un point de vue nutritionnel, cette substitution peut être nutritionnellement adéquate pour être utilisée en charcuterie. |
Yang et al. (2016) |
Les biftecks conditionnés en aérobie gardent leur couleur rouge vif au cours des 4 premiers jours d’entreposage. Cependant, la décoloration et l’oxydation sont les facteurs majeurs qui ont limité leur stabilité (8 jours approximatifs). Le conditionnement S/V prolonge la durée de conservation du produit en optimisant la stabilité de la couleur et en réduisant l’oxydation et la prolifération des bactéries d’altération. Le conditionnement sous une atmosphère 0,4% CO + 30% CO2 + 69,6% N2 constitue le meilleur moyen de conserver la couleur “rouge cerise” du produit pendant une longue durée. |
Sakowska et al. (2016)
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La profondeur de pénétration du CO dans les biftecks crus est proportionnelle à la période d’exposition et à la concentration de ce gaz dans l’espace de tête de la barquette contenant la viande. La viande cuite provenant d’un conditionnée sous CO (0,3% et 0,5%) présente une bordure rosée correspondante à la COMb. Les auteurs ont recommandé d’utiliser un prétraitement avec 0,5% CO avant S/V pour une meilleure appréciation du produit. |
Lyu et al. (2016) |
Le prétraitement par le CO combiné à l’O3 peut être une technique prometteuse pour maintenir la qualité de la viande bovine conditionnée sous vide (S/V) pendant l’entreposage. |
Sakowska et al. (2017) |
Le prétraitement des biftecks avec de CO suivi d’un S/V pendant 21 jours à 2 ºC a engendré une meilleure préférence par le panel de dégustation. |
Van Rooyen et al. (2017ab) |
Un prétraitement de la viande au CO avant le conditionnement S/V peut induire une meilleure couleur tout en permettant une maturation optimale du produit à l’intérieur de l’emballage et par conséquent une meilleure tendreté. Un prétraitement de 5 heures a permis d’obtenir une couleur stable mais qui s’est dégradée coïncidant avec la DLUO. |
Van Rooyen et al. (2018a) |
Les biftecks exposés à 5% CO, 60% CO2 et 35% N2 pendant 3, 5 ou 7 h, suivi d'un entreposage de 28 jours à 2 °C (bonnes pratiques) ou 6 °C (abus léger). Cinq (5) h d’exposition est la période optimale car elle induit une couleur désirée quelle que soit la température d'entreposage voire même l'altération du produit n’est pas masquée. |
Van Rooyen et al. (2018b) |
Les effets des prétraitements au CO sur trois muscles bovins ont été examinés. Les viandes ont été exposées à l'un des quatre prétraitements : 1% CO/5 h, 5% CO/5 h, 1% CO/24 h, puis conditionnées S/V pendant 28 jours à 2 °C. Ce prétraitement améliore la couleur rouge des muscles labiles. Le prétraitement optimal au CO est celui avec 1% de CO pendant 5 h car il induit une couleur rouge de surface dont la decoloration s’est produite à la date limite de consommation (28 jours). Ce prétraitement diminue aussi l'oxydation des protéines. L'application d'un prétraitement de 1% CO/5 h améliore donc efficacement la couleur de divers muscles sans masquer l'altération. |
Zhang et al. (2018) |
L’usage de CO peut être efficace pour conserver la couleur rouge cerise de la viande de bœuf à coupe sombre. |
Yang et al. (2018a) |
Un conditionnement de la viande sous 0,4% CO/30% CO2/69,6% N2 provoque une meilleure inhibition microbienne par rapport à une atmosphère composée de 80% O2/20% CO2. Les propriétés physicochimiques du produit emballé tout au long de la période d’entreposage (20 jours) sont aussi maintenues. |
Yang et al. (2018b) |
Les auteurs ont examiné le protéome pour expliquer les variations de stabilité de la couleur de la viande de bœuf conditionnée selon deux méthodes : 80% O2/20% CO2 et 0,4% CO/30% CO2/69,6% N2 pendant 15 jours. Les résultats ont révélé que l’expression différentielle de protéome sarcoplasmique pendant l’entreposage a contribué aux variations de stabilité de la couleur de la viande entre les deux méthodes de conditionnement. Comparativement aux viandes conditionnées sous AM-surO2, certaines enzymes glycolytiques et métaboliques énergétiques ont joué un rôle important dans les processus antioxydants. La réductase, la peroxiredoxine-2, la peroxiredoxine-6 et la protéine DJ-1 sont plus abondantes dans les viandes conditionnées sous AM-CO. La surexpression de ces protéines peut amener ces viandes à maintenir des niveaux élevés d’activité réductrice de MetMb, produisant ainsi des viandes de meilleure couleur pendant l’entreposage. |
I.1. Stabilisation de la couleur
La myoglobine, couramment symbolisée par Mb, est une métalloprotéine contenant du fer à l’état ferreux (Fe2+), présente particulièrement dans les muscles des mammifères. Elle est apparentée structurellement à l’Hb, mais a pour fonction de stocker l'O2 plutôt que de le transporter. La Mb est le principal pigment qui colore la viande puisque l’Hb du sang résiduel ne représente qu’environ 5 à 10% des pigments totaux dans des conditions correctes de saignée de l’animal. Vue sa composition biologique, la viande fraîche est considérée une denrée très périssable. La couleur de la viande est souvent utilisée comme indicateur de fraîcheur et de salubrité. C’est la première caractéristique influençant la décision d’achat dans les rayons de vente au détail et conduit beaucoup de consommateurs mal informés à utiliser la décoloration comme un indicateur de dégradation du produit.
Sous atmosphère ambiante ou suroxygénée, la couleur rouge de la viande est due à l’oxygénation du pigment Mb en O2Mb. Cette oxygénation est réversible en fonction de la pression partielle d’O2 (ppO2) qui s’exerce en surface du produit. La décoloration voire le brunissement de la surface de la viande résulte de l’oxydation de ce pigment en metmyoglobine (MetMb) de couleur brune. L’oxydation du pigment est difficilement réversible et ne peut se faire qu’aux premiers stades de l’oxydation par le phénomène de réduction enzymatique de la MetMb. Lorsque l’O2 est présent à environ 4-6 mmHg à 0 °C (équivalent à 0 ,0053 bar ou atmosphère), la forme MetMb prédomine (Ledward, 1970).
L’oxydation du pigment et le brunissement qui en découle sont les principaux facteurs de rejet. La couleur de la viande dépend de la concentration en O2 qui l’entoure et de l’état d’oxydation de l’atome de fer (Fe). La cinétique d’oxydation de la DeoxMb et de l’O2Mb en metmyoglobine (MetMb) pour laquelle le Fe2+ passe à l’état ferrique (Fe3+) est influencée par plusieurs facteurs tels que le type du muscle, la vitesse de chute du pH post-mortem, le matériau de conditionnement, la concentration en O2, la lumière et la température dans les étalages, l’activité réductrice enzymatique intrinsèque de MetMb du muscle. Généralement, quand le pigment en surface de la viande contient environ 20% de MetMb, un consommateur sur deux (1/2) la rejette.
Jayasingh et al. (2001) ont étudié la capacité de pénétration du CO en profondeur de la viande (morceau entier et viande hachée) en fonction de la durée d’exposition. Ces auteurs ont mesuré la couche de COMb formée lors de ce traitement. En présence de 0,5% CO/10 h d’exposition, des couches de COMb de 2 à 9 mm sont respectivement formées. Pour un traitement avec 10% CO, Woodruff et Silliker (1985) ont rapporté des couches de 0,63 à 0,94 cm, formant ainsi un aspect rouge brillant pendant une longue période. Raines et Hunt (2010) ont étudié l’effet combiné d’une variation de volume gazeux dans l’espace de tête de la barquette et la concentration en CO sur le développement de la couche COMb des biftecks conditionnés. Ils ont constaté que la concentration du CO dans un espace de tête réduit engendre une couche de COMb plus épaisse par rapport à la présence d’une faible concentration en CO dans un volume d’espace de tête supérieur.
De nombreuses études ont rapporté les effets avantageux du CO dans le conditionnement des viandes. El-Badawi et al. (1964) ont mené l’un des premiers travaux utilisant le CO comme gaz de conditionnement de la viande du bœuf fraîche (2% CO + 98% air) et, ont constaté que la couleur rouge de la viande peut être stabilisée pendant 15 jours à une température comprise entre 2 et 3 ºC. Sept ans plus tard, les mêmes résultats furent confirmés par Clydesdale et Francis (1971). Jayasingh et al. (2001) ont mené une étude comparative et, ont rapporté que les biftecks conditionnés en présence de CO ont conservé leur couleur rouge stable pendant deux mois, par rapport à ceux conditionnés sous AM-surO2. Krause et al. (2003) ont constaté que l’indice rouge (CIE a*) de la viande du porc est plus élevé en présence de 0,4% CO ; la couleur rouge attractive s’est maintenue pendant 36 jours. Luño et al. (2000) ont rapporté que les viandes hachées et les biftecks conditionnés sous AM contenant < 1% CO ont conservé une couleur rouge stable pendant 29 jours. De même, Sakowska et al. (2017) ont observé une meilleure stabilité de la couleur des biftecks emballés sous CO pendant 21 jours.
La viande porcine emballée en présence de CO préserve une meilleure stabilité de la couleur rouge que celle conditionnée sous AM-surO2. Cette viande persiste rose pendant toute la cuisson à 70 ºC (température interne). Elle a également connu moins de perte d’eau, ce qui peut contribuer à une meilleure perception de la jutosité par le panel de dégustation (Wicklund et al., 2006). Des biftecks ont été marinés dans une solution de sodium de phosphate et emballés sous 0,4% CO/30% CO2/69,6% N2, affinés dans l’obscurité pendant 26 jours et après mises en UVC. La présence de CO n’a exercé aucun effet sur la saveur et l’acceptabilité générale de la viande après cuisson et, peu d’effets ont été signalés par le panel concernant les autres critères (couleur, la brillance et la jutosité) (Stetzer et al., 2007). De même, Mancini et al. (2009) ont constaté que des biftecks conditionnés sous CO (0,4% CO/30% CO2/69,6% N2) ont présenté un aspect assombrissant dû au lactate. Néanmoins, cette atmosphère a amélioré la stabilité de la couleur du produit par rapport à une AM sur-O2 (80% O2/20% CO2).
En présence de CO et de l’O2 ensemble dans la même atmosphère, ce dernier n’interfère pas dans la formation de COMb car l’affinité de la Mb envers le CO est de 30 à 50 fois plus grande que son affinité envers l’O2 (Grant et Clay, 2002). Liu et al. (2014) ont rapporté que le CO peut favoriser une meilleure activité réductrice de MetMb et par conséquent, une forte stabilité de la couleur en UVC. Cependant, la présence de 20-80% O2 interfère négativement avec cette propriété réductrice dans plusieurs muscles du bœuf (Seyfert et al., 2007).
Pendant l’ouverture des barquettes en présence de la lumière, les saucisses conditionnées sous CO se sont décolorées rapidement contrairement à celles traitées au nitrite. Cependant, ce phénomène de décoloration a été réduit en anaérobie et en absence de la lumière (Sørheim et al., 2006). De même, des biftecks conditionnés dans une atmosphère anoxique contenant 0,4% CO ont préservé leur couleur attractive durant 21 jours comparativement à ceux conditionnés sous une AM-surO2 (80% O2) (John et al., 2005 ; Stetzer et al., 2007). Cependant, certains auteurs ont constaté un point négatif concernant l’usage de cette technique, en effet, des viandes hachées bovines conditionnées initialement sous CO (1%), puis exposées à l’air après ouvertures des barquettes, la couleur rouge vif s’altère en quelques jours (Jeong et Claus, 2010, 2011). Le phénomène de BP se manifeste lors de la cuisson des steaks conditionnés sous AM-surO2 (John et al., 2005). Néanmoins, le conditionnement sous AM-CO peut permettre d’éviter ce phénomène. Un traitement avec 100% CO/3h avant la congélation, permet à la viande bovine de conserver sa couleur rouge vif pendant 3 mois (Lentz, 1979). Généralement, les produits carnés sont préparés avec du nitrite (NO2−) ou du nitrate (NO3−) dont leur fonction principale est de procurer à ces produits une couleur rose stable. L’inconvénient de ces ingrédients réside dans leur rôle cancérigène chez le consommateur par la formation de nitrosamines (Tricker et Preussmann, 1991). Sørheim et al. (2006) ont suggéré que l’utilisation de CO peut être une bonne alternative pour remplacer ces substances toxiques.
La durée de vie de la viande fraîche en conditions d’aérobies est limitée principalement par deux facteurs principaux : l’effet chimique de l’O2 atmosphérique et la croissance microbienne. La conservation au froid ralentira ces facteurs indésirables, mais ne prolongera pas suffisamment la durée de vie du produit durant toute la chaine commerciale (distribution et dans les linéaires de vente au détail). Plusieurs études sont menées pour évaluer l’effet d’un conditionnement sous AM-CO2/CO sur la durée de vie de la viande fraîche et des produits carnés. En effet, Krause et al. (2003) ont observé une durée de vie allant jusqu'à 36 jours pour les côtelettes du porc emballées sous une AM-CO2/CO. Par contre, seulement 28 jours de vie utile sont observés chez les viandes emballées sous AM-surO2, 23 jours dans le cas d’un conditionnement S/V et 7 jours pendant la conservation à l’air libre. Parallèlement, les durées de vie des viandes hachées, biftecks et côtelettes porcines conditionnées sous 0,4% CO, 60% CO2 et 40% N2, qui ont été exposées dans une vitrine frigorifique à 4 ºC étaient respectivement de 11, 14 et 21 jours (Sørheim et al., 1999). Une concentration supérieure en CO2 (> 60%) pour le conditionnement des saucisses fraîches de porc provoque l'oxydation de la Mb et des lipides, probablement en raison d'abaissement du pH. Cependant, ces deux attributs sont mieux préservés en présence de faibles concentrations en CO2 (20%). Le conditionnement de cette saucisse sous une atmosphère de 0,3% CO + 30% CO2 permet une préservation de la couleur rouge pendant 20 jours (Martínez et al., 2005). L’utilisation de ce mélange gazeux dans le conditionnement de la viande fraîche pourrait être prometteuse en raison de ses effets positifs sur la couleur et sur l’inhibition de la croissance des micro-organismes d’altération, ceci permettra d’augmenter la durée de conservation lors de la distribution des produits frais à des longues distances et encore dans les linéaires de vente au détail.
I.2. Effets antimicrobiens
De grandes controverses sont signalées concernant le pouvoir antimicrobien du CO. Gee et Brown (1981) ont constaté l’effet bactériostatique exercé par le CO (25-30%) sur certaines bactéries. En effet, le CO prolonge la phase de latence et ralentit le taux de croissance d’Escherichia coli, d’Achromobacter et de Pseudomonas fluorescens. Contrairement au Pseudomonas aeruginosa qui a montré une certaine résistance. Gee et Brown (1978) ont testé le complexe gazeux CO/CO2 et, après six jours d’entreposage, les viandes hachées du bœuf qui sont conditionnées dans une atmosphère contenant 1% CO, 50% CO2 et 49% d’air ont présenté une charge microbienne < 2 log10 cfu/ g. Clark et al. (1976) ont montré que le taux d’inhibition des bactéries psychrotrophes sur des biftecks est proportionnel à la concentration de CO. Ces auteurs ont conclu que le CO peut avoir la capacité d’augmenter la phase de latence et de réduire la phase logarithmique de la flore d’altération psychrotrophe. Luño et al. (2000) ont indiqué que le CO peut exercer une activité antibactérienne vis-à-vis de la flore d’altération psychrotrophe de la viande (Brochotrix thermosphacta) ; cependant, les bactéries lactiques ne semblent pas être affectées par ce gaz. Viana et al. (2005) ont rapporté que la croissance de Pseudomonas sp. dans la viande du porc conditionnée sous 99% CO2/ 1% CO et trop limitée, et le seuil d’altération microbienne (= 7 log10 ufc/ g) n’est enregistré qu’après 20 jours de stockage. Jayasing et al. (2001) et Hunt et al. (2004) ont réalisé le même travail et ont indiqué que la charge microbienne s’est maintenue < au seuil d´altération pendant 1 mois de stockage dans la viande du bœuf conditionnée sous MA-CO, alors qu’une apparence rouge acceptable est maintenue pendant au moins 2 mois pour cette viande d’où l’importance de la mention « utiliser ou congeler avant... » déjà préconisée par le Département américain de l'agriculture (United States Department of Agriculture : USDA). Woodruff et Silliker (1985) ont rapporté que les mauvaises odeurs et l’état poisseux perceptibles dans les produits d’origine animale conditionnés, dues au développement de la flore d’altération ont été prévenues par la présence de 10% CO. Gee et Brown (1978) ont étudié les effets de différentes concentrations de CO vis-à-vis de Pseudomonas, Achromobacter et Esherichia coli dans les viandes hachées du bœuf. Ils ont conclu que 15 à 30% du CO peut avoir un effet inhibiteur vis-à-vis de toutes ces bactéries. Néanmoins, ce niveau de concentration de CO dépasse largement celui autorisé par l’US Food and Drug Administration pour le conditionnement des produits carnés (US Food and Drug Administration : USFDA, 2004).
Lors d’un entreposage de la viande hachée bovine conditionnée sous CO à une température abusive (> 10 ºC), Yersinia enterocolitica, Listeria monocytogenes et Esherichia coli O157 : H7 ont montré une certaine inhibition ; contrairement au Salmonella (Nissen et al., 2000). Ces résultats expliquent la nécessité du respect de la chaine du froid indépendamment du mode de conditionnement. Dans un travail similaire, Cornforth et Hunt (2008) ont rapporté que le conditionnement des viandes fraîches avec CO permet l’inhibition d’Esherichia coli O157 : H7. Contrairement, Bórnez et al. (2009, 2010) ont constaté que l’utilisation d’une faible teneur en CO (69,3% N2/ 30% CO2/ 0,7% CO) pour le conditionnement de la viande du mouton n’a montré aucun effet antibactérien. Il serait donc probable qu’à des concentrations raisonnables (< 1%), le CO en tant que tel n’exerce aucun effet antimicrobien. Dans ces conditions, l’accompagnement avec du CO2 pour son rôle antimicrobien devient nécessaire pour la sécurité du produit de point de vue sanitaire.
I.3. Les opérations de prétraitements
Le prétraitement des viandes rouges avec de CO avant le S/V peut être une bonne alternative pour le secteur des viandes. En outre d’une couleur désirable de ces produits, il permet un meilleur attendrissage de la viande à l’intérieur de l’emballage en optimisant la durée de maturation. En parallèle, cette technique minimise le risque lié au CO, car ce dernier est complètement absent de l’entourage du produit durant la période de stockage, et par conséquent, le risque sera réduit au minimum lorsque les barquettes seront ouvertes au niveau du ménage. De nombreuses études ont déjà rapportées cette technologie (Lyu et al., 2016 ; Van Rooyen et al., 2017a,b). Le prétraitement a permis une stabilité de la couleur des biftecks conditionnés S/V = 2 mois (Rozbeh et al., 1993 ; Brewer et al., 1994). Une étude menée par Jayasingh et al. (2001) sur la synchronisation entre le prolongement de la durée de vie du produit, sa qualité microbiologique et la stabilité de la couleur pendant la conservation. Il en découle qu’un prétraitement avec 5% CO/24 heures est nécessaire pour une durée de conservation S/V > 21 jours ; idéale pour une application à grande échelle. Les mêmes résultats ont été corroborés par Aspé et al. (2008), qui ont testé un prétraitement avec 5% CO/95% N2 sur des côtelettes du bœuf. La couleur rouge attractive est nettement améliorée durant toute la phase de stockage S/V. Néanmoins, cette viande se décolore progressivement et devient brune lorsqu’elle est exposée à l’air ambiant.
I.4. Autres effets
La tendreté de la viande est l’un des critères le plus couramment utilisé pour l’estimation de la qualité de la viande au niveau de ménage. Les viandes issues d’un conditionnement sous AM sur-O2 se sont déclarées moins tendres à cause de phénomène d’oxydation des protéines (Kim et al., 2010 ; Djenane et al., 2016). De même, Grobbel et al. (2008) ont observé que la viande bovine stockée S/V ou en présence de 0,4% de CO est plus tendre par rapport à celles conditionnées sous AM sur-O2. La diminution de la tendreté du produit est l’un des principaux effets négatifs des AM sur-O2 en raison de la réticulation (Cross-linking) des protéines myofibrillaires ; responsable de durcissement de la structure myofibrillaire de la viande.
Il est bien établi que l’élimination des agents pathogènes par l’irradiation, permet d’améliorer la sécurité sanitaire et la durée de conservation des viandes. Cependant, les doses appliquées (KGray) pour éliminer les agents pathogènes peuvent provoquer des modifications indésirables sur la couleur, la saveur et l’odeur de la viande. Kusmider et al. (2002) ; Ramamoorthi et al. (2009, 2011) et Kudra et al., (2012) ont suggéré qu’une combinaison CO/ irradiation pourrait diminuer tous ces effets négatifs et permet de préserver la viande pendant une longue durée.
L’industrie de viande a souvent recours à l’usage des lactates comme des ingrédients dans certains produits carnés (Seyfert et al., 2004). Néanmoins, ces derniers peuvent avoir des effets néfastes sur la qualité des produits pour leur rôle prooxydant. La présence de CO dans le conditionnement de tels produits peut compenser l’effet négatif d’un brunissement oxydatif du produit dû au lactate.
Le BP durant la cuisson des viandes rouges peut se produire en engendrant des surfaces internes grises/ brunes qui semblent bien cuites même à une température de cuisson < à 60 oC, ce qui entraine le risque de pouvoir consommer de la viande contaminée par des bactéries pathogènes insuffisamment cuite. Ce phénomène est associé aux AM sur-O2. Cependant, un conditionnement anoxique S/V ou sous AM-CO peut empêcher ce phénomène (John et al., 2005 ; Grobbel et al., 2008). Généralement, pour les viandes non désossées, la présence de la moelle contenant de traces d’Hb constitue un véritable facteur limitant due à l’oxydation de ce pigment durant la conservation. Le stockage de ce genre de viandes sous AM-CO peut constituer une alternative pour freiner ce phénomène (Mancini et Hunt, 2005). Afin de minimiser les problèmes de brunissement dus à l’utilisation du sang comme ingrédient dans les différentes formulations agroalimentaires ; diverses solutions sont proposées. Fontes et al. (2010, 2015) ont montré que le sang préalablement saturé en CO garde sa couleur stable et désirable pendant une longue période, ce qui permettra de l’incorporer dans les produits carnés sans risque de brunissement. En remplacement des nitrites, l’usage d’un conditionnement sous 1% CO est utilisé pour le cas des viandes fraîches destinées à la fabrication des saucisses salées sèches (Sørheim et al., 2006). Les produits finaux obtenus ont montré une couleur rouge semblable ou meilleure que celle obtenue chez les produits traités avec des nitrites.
CONCLUSION
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