
Cet article présente une méthodologie d’analyse des dangers bactériens, fondée sur la norme NF EN ISO 22000, applicable par les petites et moyennes entreprises agroalimentaires. Les résultats de l’analyse des dangers menée sur un cas pratique montrent que beaucoup de dangers bactériens peuvent être efficacement maîtrisés par une application effective des règles d’hygiène. Pour seulement deux dangers - Bacillus cereus et Clostridium perfringens - des mesures spécifiques sont à mettre en place.
La démarche HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Point) est une méthode de maîtrise de la sécurité sanitaire des aliments reconnue sur le plan international dont les principes sont à appliquer en accord avec la réglementation européenne (Règlement CE N° 852/2004 - JOUE, 2004).
L’analyse de dangers, qui en est le premier principe, est à conduire avec précaution et rigueur car les résultats qui en découlent constituent le socle à partir duquel les mesures de maîtrise ainsi que les procédures de surveillance et de vérification seront définies. Les étapes successives de cette démarche sont décrites dans le Codex Alimentarius (CAC, 2003) et dans la norme NF EN ISO 22000 (2005). Toutefois ces textes étant élaborés à destination de tout type d’entreprise, leurs prescriptions restent générales.
Dans le domaine de la microbiologie, quelques publications décrivent en détail les modalités à suivre pour conduire une analyse des dangers (Notermans et al., 1996; Van Gerwen et al., 1997). Des articles des années 1990 présentent la base du raisonnement pour l’analyse qualitative (Notermans et al., 1994; Untermann, 1998). Quant aux articles récents, l’analyse des dangers microbiens qui y est présentée fait essentiellement partie d’une approche d’analyse quantitative des risques (AQR) (Fosse et al., 2008; Van Schothorst et al., 2009). Dans la pratique, cette méthodologie d’AQR est difficile à mettre en place pour les petites et moyennes entreprises.
L’objectif de cet article est de proposer une méthodologie d’analyse des dangers bactériens utilisant à la fois les raisonnements classiques de l’analyse qualitative ainsi que les outils récents d’analyse quantitative. Un exemple - tomates farcies fabriquées par des artisans charcutiers traiteurs - est proposé. Les résultats sont présentés et commentés.
MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE DES DANGERS
L’analyse des dangers présentée dans cet article a été conduite selon la norme NF EN 150 22000 (2005), texte général de référence qui a dû être adapté pour l’étude du cas proposé en exemple. Rappelons que pour mener une analyse des dangers, des connaissances en technologie de fabrication et en microbiologie alimentaire sont indispensables, de même les principes de la démarche HACCP doivent être assimilés.
Selon la norme, l’analyse des dangers est à conduire selon deux phases successives : étapes préliminaires, analyse des dangers proprement dite.
Les étapes préliminaires (NF EN ISO 22000, paragraphe 7.3.) à l’analyse des dangers comprennent les caractérisations du produit et du procédé utilisé. Les caractéristiques du produit sont décrites de manière aussi complète que possible en se fondant sur les résultats de recherche bibliographique ou de mesures de laboratoire. Sont ainsi décrits la composition du produit, ses caractéristiques physico-chimiques (ph, Aw..), les matières premières utilisées, le mode de conditionnement. L’usage prévu est précisé en tenant compte des usages raisonnablement prévisibles du consommateur final. La caractérisation du procédé est fondée sur la réalisation du diagramme de fabrication décrivant le procédé étape par étape, y compris les étapes a priori sans importance. Ce diagramme de fabrication pourra utilement être complété par des mesures de températures aux points décisifs du procédé.
L’analyse des dangers proprement dite (NF EN ISO 22000, paragraphe 7.4.) est ensuite conduite selon trois étapes successives identification des dangers, évaluation des dangers, sélection et évaluation des mesures de maîtrise.
Identification des dangers (NF EN ISO 22000, paragraphe 7.4.2.). Le point de départ de l’identification des dangers microbiens est d’établir une liste de tous les dangers reconnus comme étant pathogènes pour l’homme. Cette liste doit être aussi exhaustive que possible, tenant compte de tous les dangers y compris ceux qui sont simplement suspectés. De telles listes peuvent être trouvées dans des revues scientifiques ou les publications d’organismes comme l’OMS.
À partir de cette liste, les dangers raisonnablement prévisibles sont identifiés en tenant compte pour chaque danger : (i) des données épidémiologiques sur les intoxications alimentaires relatives au produit fini étudié, (ii) de leur prévalence dans les matières premières utilisées dans le procédé étudié, (iii) des possibilités de contamination liée au procédé telles que manipulations et (iiii) des possibilités de leur élimination liée au procédé.
En final de cette étape ne sont retenus, d’une part, que les dangers potentiellement présents (dans les matières premières ou du fait des contaminations dues aux manipulations) qui ne sont pas complètement éliminés par le traitement assainissant et d’autre part que les dangers qui résultent d’une contamination survenant après le traitement assainissant.
Évaluation des dangers (NF EN ISO 22000, paragraphe 7.4.3.). Cette étape d’évaluation est à conduire danger par danger pour un procédé donné. Pour chaque danger, en suivant le diagramme de fabrication, les possibilités d’occurrence du danger sont évaluées au niveau des matières premières et des ingrédients ou du fait de manipulations. Puis les possibilités de multiplication ou de destruction sont évaluées pour chaque étape du procédé.
Ce travail d’évaluation étant long et fastidieux, des simplifications sont possibles. Tout d’abord les dangers peuvent être étudiés en les regroupant en fonction de similarités quant à : (i) leurs caractéristiques de croissance et de destruction, (ii) leur capacité ou non de sporulation, (iii) leur pouvoir pathogène à faible dose infectante et (iiii) leur origine de contamination (rhino-pharyngée, fécale...). De plus, lorsqu’un traitement assainissant permet la disparition complète d’un danger, seules les phases postérieures à ce traitement sont étudiées pour ce danger.
Lorsqu’une évaluation plus précise et plus pertinente de l’évolution d’un danger est nécessaire, une approche quantitative peut être réalisée en estimant la croissance ou la destruction de ce danger. À cette fin, les professionnels disposent aujourd’hui de modèles mathématiques simples ou peuvent utiliser des progiciels de simulation de croissance microbienne (Comilase, Pathogen Modelling Program, Sym’Previus,...).
Sélection et évaluation des mesures de maîtrise (NF EN ISO 22000, paragraphe 7.4.4.). À partir des résultats de l’évaluation des dangers, les mesures de maîtrise sont ensuite sélectionnées en fonction de leur capacité à prévenir, éliminer ou réduire les dangers à un niveau acceptable. Ces mesures de maîtrise sont à classer en trois catégories : (i) les PRP (programmes pré requis) - c’est-à-dire les mesures permettant la maîtrise des dangers par les bonnes pratiques de fabrication (BPF) et/ou par les bonnes pratiques d’hygiène (BPH); (ii) les PRPo (programmes pré requis opérationnels) et (iii) les mesures de maîtrises applicables aux CCP (critical control points) identifiés. Ces deux dernières mesures sont essentielles et mises en place de manière spécifique pour la maîtrise d’un danger bien défini ; la différence entre elles est la détermination de limites critiques pour les mesures applicables aux CCP (NF VOl-006, 2008).
Le raisonnement conduit pour l’analyse des dangers proprement dite sera ultérieurement d’une grande utilité pour la détermination de tous les autres points du plan HACCP : limites critiques des CCP, procédures de vérification, de surveillance et d’enregistrement, corrections et actions correctives.
CAS PRATIQUE : TOMATES FARCIES FABRIQUEES PAR DES ARTISANS CHARCUTIERS TRAITEURS
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Matériel
Le cas pratique présenté est issu d’une étude conduite chez cinq charcutiers traiteurs, choisis par tirage au sort dans une liste de professionnels situés dans Paris et sa banlieue. Les denrées étudiées sont des tomates farcies, fabriquées et mises en vente sur place. Dans cet exemple, seuls les dangers bactériens sont concernés et les procédés sont étudiés depuis l’étape de préparation des tomates farcies jusqu’à leur mise en vente. Les conditions de conservation et d’utilisation par les consommateurs ne sont pas prises en compte.
Évaluation du potentiel de croissance
Pour quelques dangers bactériens identifiés, il peut s’avérer utile d’évaluer leur potentiel de croissance à l’aide de modèles mathématiques de microbiologie prévisionnelle appliqués sur des relevés temps-température.
Pour effectuer ces relevés, un capteur autonome de la taille et de la forme d’une pile bouton (Proges Plus, Willems, France) est placé au coeur de l’aliment étudié ; la température est enregistrée lors des étapes du procédé cuisson, refroidissement, stockage en chambre froide, mise en vente.
Le potentiel de croissance bactérienne est estimé en ayant recours aux progiciels, gratuits, ComBase Predictor et Perfringens Predictor du site internet ComBase et/ou avec un modèle simple de microbiologie prévisionnelle. Il s’agit alors du modèle de Rosso, modèle des températures cardinales avec point d’inflexion (CTMI) (Rosso, 1993).
Le calcul des potentiels de croissance microbienne requiert la détermination de quatre valeurs : les températures théoriques de croissance (Tmjn, Tmç, T0) spécifiques de l’espèce microbienne considérée, le taux de croissance optimal (j.t0) spécifique de l’espèce bactérienne et de la nature de l’aliment considéré.
Évaluation de l’effet d’un traitement thermique sur la destruction bactérienne
L’impact d’un traitement thermique sur la destruction d’un danger est apprécié en confrontant les couples temps / température appliqués avec deux paramètres spécifiques de ce danger : les valeurs D et z. La valeur D (ou temps de réduction décimale) est le temps d’application d’une température constante donnée (T) nécessaire pour détruire 90% du nombre de germes initialement présents c’est-à-dire de diviser cette population bactérienne par 10. T étant la température constante appliquée, la valeur D est notée D1 et est exprimée en secondes ou en minutes. La valeur z est la variation de température entraînant une variation du temps de réduction décimale d’un facteur 10. Cette valeur est exprimée en degrés. Par exemple, pour Staphylococcus aureus, si D60 = 10 min et z = 10, alors D70 = 1 min.
Pour une même souche bactérienne, les valeurs D et z varient d’une part selon la nature de la matrice (milieu de laboratoire, type d’aliment), d’autre part, pour les bacilles, selon la forme bactérienne considérée (forme végétative, spore).
Par ailleurs l’efficacité d’un traitement thermique peut être appréciée de manière plus globale pour l’ensemble des dangers bactériens en calculant la valeur pasteurisatrice. La température de référence est de 70°C et le germe test de référence est Streptococcus faecalis en raison de sa grande thermorésistance (D70 2,95 min, z 10) par rapport aux autres formes bactériennes végétatives. (Cerf et al. 1996). La valeur pasteurisatrice correspond au temps d’application (en min) de la température de référence (70°C) pour obtenir une réduction décimale de la population bactérienne de référence. La valeur pasteurisatrice est notée et est calculée à partir du couple temps températures appliqué au produit et en utilisant la formule (Mafart, 2000) :
Un aliment est considéré comme ne présentant pas de risque potentiel lié à la présence de Streptococcusfaecalis, et par extension de toute autre bactérie sous forme végétative, si le traitement thermique qui lui est appliqué permet d’assurer un nombre minimal de six réductions décimales de la population bactérienne considérée (Membré, 2008). Ainsi pour apporter cette sécurité alimentaire, la valeur pasteurisatrice d’un traitement thermique devra être supérieure ou égale à 18 min à 70°C (P n x D70 6x2,95 17,7).
Toutefois, dans le cadre d’une démarche HACCP, ce traitement thermique global peut être adapté aux spécificités d’un aliment en recherchant la destruction du danger le plus thermorésistant parmi ceux qui ont été identifiés dans l’analyse des dangers.
RÉSULTATS
Étapes préliminaires à l’analyse des dangers
Les produits étudiés sont des tomates farcies préparées à partir de tomates fraîches garnies d’une farce composée de viandes (chair à saucisse, talons de rôti, de jambon, pâté,..), et de sel et selon la recette, de persil, d’ail, d’échalote, d’oignon, de vin blanc, de blanc d’oeuf ou d’oeuf entier, d’additifs (colorants). Le diagramme de fabrication, résumant les différents procédés étudiés, ainsi que les données à collecter pour mener l’analyse des dangers sont présentés en tableau 1.Selon les établissements, trois pratiques après cuisson bien distinctes, sont observées :
- les tomates farcies subissent un refroidissement, soit en cellule de réfrigération rapide, soit en chambre froide, soit dans l’ambiance de l’atelier dans un premier temps jusqu’à une température de 30°C environ avant d’être introduites en chambre froide. Elles sont proposées à la vente en meuble frigorifique de vente, le jour même de leur cuisson ou le lendemain ;
- les tomates farcies sont, immédiatement après cuisson, présentées à la vente à la température ambiante du magasin ;
- les tomates farcies sont, immédiatement après cuisson, présentées à la vente sur une plaque chauffante.
Identification des dangers
L’identification des dangers est réalisée en s’appuyant sur la liste établie par l’OMS (2008) (tableau 2, colonne A) ; les dangers bactériens retenus dans un premier temps du fait de leur présence éventuelle dans les matières premières ou suite à des contaminations par les manipulations sont présentés en colonne B.Selon des données épidémiologiques et l’étude du procédé, les dangers Vibrio cholerae, Vibrio parahaemolyticus, Vibrio vulnificus et Mycobacterium bovis sont écartés en raison de leur taux de prévalence nul dans les matières premières ainsi que de l’impossibilité de leur survenue dans le procédé.
Puis les possibilités d’élimination liée au procédé sont étudiées pour les autres dangers. Parmi les dangers potentiels identifiés Staphylococcus aureus étant la forme végétative bactérienne la plus thermorésistante (D60 compris entre 0,8 et 10 min., z10 — ICMSF, 1996) la valeur pasteurisatrice pour ce procédé est calculée par rapport à ce danger en prenant la valeur D60 la plus sécuritaire (10 min). Pour obtenir un nombre minimal de six réductions décimales de ce danger dans les tomates farcies, la valeur pasteurisatrice doit être supérieure ou égale à 6 minutes.
Les résultats obtenus à partir des températures enregistrées pendant la cuisson des procédés étudiés sont compris entre 24 et 1814 et sont donc satisfaisants pour entraîner la destruction complète des bactéries non sporulées potentiellement présentes dans cet aliment avant l’étape de cuisson.
Les dangers Aeromonas hydrophila, Brucella et Campylobacter étant détruits par la cuisson et ne pouvant pas potentiellement recontaminer le produit après cette étape sont également écartés.
Les dangers retenus sont (i) les dangers potentiellement présents qui ne sont pas éliminés par le traitement de cuisson (tableau 2, colonne C) - à savoir les spores de Bacillus cereus, de Clostridium perfringens et de Clostridium botulinum, la toxine thermostable de Staphylococcus aureus - et (ii) les dangers pouvant potentiellement contaminer le produit après cuisson par manipulations ou par contact avec les surfaces de travail ou instruments contaminés (tableau 2, colonne D) - à savoir Escherichia cou ETEC, EPEC, EJEC, Escherichia colt STEC, Listeria monocytogenes, Salmonella typhi, Salmonella spp., Shigella spp., Staphylococcus aureus et Yersinia enterocolitica.
Les données bibliographiques utilisées pour effectuer l’identification des dangers sont indiquées en colonne E du tableau 2.
Évaluation des dangers
Chaque danger est évalué à chaque étape du procédé. Les dangers détruits par la cuisson ne sont pas étudiés pour les étapes antérieures à ce traitement assainissant.
Bacillus cereus
B. cereus est un bacille sporulé, pathogène par ses entérotoxines. Des formes végétatives et des spores peuvent contaminer les matières premières. Le groupe B. cereus est constitué d’une vaste population bactérienne répartie en plusieurs groupes génétiques de caractéristiques différentes (Guinebretière et al., 2007). Dans notre cas, le groupe V est choisi car il présente par rapport aux autres groupes des caractéristiques intermédiaires de croissance. De plus ce groupe présente une légère tendance psychrotrophe et une résistance thermique modérée des spores (Afchain et al., 2008; Guinebretière et al., 2007). En référence à Afchain et al. (2008), les températures minimale Tmin, optimale T0pt et maximale Tmax sont respectivement de 3°C, 35,4°C et 39,4°C (valeurs définies pour le groupe V de B. cereus) et le taux de croissance optimale µ0pt est de 0,76 ht (valeur déterminée à partir de l’ensemble des valeurs des différents groupes génétiques).Selon la valeur pasteurisatrice caractérisant la cuisson des procédés étudiés, le traitement de cuisson permet la destruction complète des formes végétatives; en revanche les spores ne sont pas totalement détruites.
Lors des étapes après cuisson les spores peuvent se transformer en formes végétatives après un temps de latence variable de quelques heures à quelques semaines selon Afchain et al. (2008) et Membré et al. (2008).
Le potentiel de croissance de B. cereus est évalué, pour les étapes suivant la cuisson, en utilisant le modèle de Rosso, avec un temps de latence nul (choix sécuritaire), appliqué aux profils représentatifs des trois pratiques observées.
Pour la présentation en meuble frigorifique de vente (MFV) après refroidissement, le potentiel de croissance (0,5 log10) est limité du fait d’un refroidissement efficace et d’un séjour court (-6h) en MFV. Cette présentation assez courte compense la remontée en température observée de +6 à +14°C.
Pour la présentation à la vente à température ambiante, le potentiel de croissance plus élevé (1,2 log10) est dû au passage direct, sans étape de refroidissement, de la cuisson à la présentation à la vente à température ambiante du magasin (20-22°C, pendant environ 6 h).
Pour la présentation à la vente sur plaque chauffante, le potentiel de croissance est nul du fait du maintien des tomates farcies à une température supérieure à la température maximale de croissance de B. cereus (40°C).
Clostridium botulinum
Bacille anaérobie sporulé, C. botulinum est pathogène par sa neurotoxine, thermosensible, élaborée lors de la multiplication de la forme végétative dans l’aliment. Les formes végétatives et sporulées peuvent être présentes dans les matières premières (viandes). Compte tenu des valeurs pasteurisatrices calculées pour le procédé étudié, le traitement de cuisson est suffisant pour entraîner la destruction complète des formes végétatives, en revanche il ne permet pas la destruction de toutes les formes sporulées.
Le potentiel de croissance a été estimé sur les étapes suivant la cuisson, en utilisant le progiciel Combase Predictor, avec une valeur de pH de 5,8, un taux de NaCl de 1,8% et en retenant un état physiologique optimal des bactéries.
Les potentiels de croissance obtenus sont faibles 0,2 log10 pour la présentation en meuble frigorifique de vente, 0,6 log10 pour la vente à la température ambiante du magasin, et o log10 pour la présentation à la vente sur plaque chauffante.
Ces potentiels de croissance sont estimés de manière très sécuritaire. En effet, d’une part ils sont obtenus en considérant une phase de latence nulle (choix de l’état physiologique optimal dans Combase) alors que la bibliographie (Juneja et Marks, 1999) donne souvent pour celle-ci des valeurs de plusieurs heures (17h à 21°C, 70h à 12°C). D’autre part, la plupart des matières premières utilisées pour la fabrication de la farce des tomates contiennent des nitrites de sodium ayant un effet inhibiteur sur la germination de C. botulinum.
Malgré cette approche sécuritaire, les potentiels de croissance obtenus pour C. botulinum restent inférieurs à ceux obtenus pour B. cereus ou C. perfringens. Les mesures permettant la maîtrise de B. cereus et de C. perfringens seront donc également efficaces vis à vis de C. botulinum.
Clostridium perfringens
C. perfringens est un bacille sporulé, pathogène par son entérotoxine formée lors de la sporulation des formes végétatives dans le tube digestif du consommateur. Formes végétatives et sporulées peuvent contaminer les matières premières (viandes, épices). Compte tenu des valeurs pasteurisatrices calculées pour le procédé étudié, le traitement de cuisson est suffisant pour entraîner la destruction complète des formes végétatives, mais insuffisant pour permettre une destruction de toutes les formes sporulées.
Lors de la phase de refroidissement après cuisson les spores non détruites par la cuisson peuvent germer après un temps de latence et les formes végétatives se multiplier dans l’aliment jusqu’à 15°C (de Jong, 2003).
Le potentiel de croissance de C. perfringens est évalué, pour les étapes suivant la cuisson, en appliquant le progiciel Combase Perfringens Predictor aux profils représentatifs des trois pratiques observées.
Les paramètres de croissance et le temps de latence y sont définis automatiquement en fonction des caractéristiques du produit étudié pH (5,8), taux de NaCl (1,8%), saumuré ou non (dans notre cas, non saumuré).
Si le potentiel de croissance est nul dans le cas d’un refroidissement suivi d’une présentation en MFV, il est nettement plus important pour la vente à température ambiante du magasin et la présentation sur plaque chauffante. Dans ce dernier cas, le potentiel de croissance élevé (1,4 log10) est dû aux performances insuffisantes de la plaque chauffante qui maintient les denrées à une température proche de la température optimale de croissance de C. perfringens (40-45°C).
Escherichia coli ETEC, EPEC, EIEC, E. cou STEC, Listeria monocytogenes, Salmonella typhi, Salmonella spp., Shigella et Versinia enterocolitica
Ces dangers sont regroupés car, étant thermosensibles, ils sont tous éliminés par la cuisson mais sont susceptibles de recontaminer l’aliment après cette étape.
L’analyse des dangers, conduite étape par étape pour chacun de ces dangers, amène à la conclusion que, lors des étapes après cuisson, ces dangers peuvent contaminer la surface de l’aliment ; les bonnes pratiques d’hygiène (BPH), telles que l’hygiène des mains et des surfaces, appliquées avec rigueur sont suffisamment efficaces pour éviter leur survenue.
Staphylococcus aureus
S. aureus est une bactérie pathogène par sa toxine, thermorésistante, secrétée dans l’aliment. Si la bactérie peut contaminer les matières premières, la sécrétion de toxine ne sera possible à ce stade que si la température ambiante est supérieure à 10°C pendant plusieurs heures (ICMSF, 1996). Dans ce cas, le traitement de cuisson qui suivra ne serait pas suffisamment efficace pour entraîner la destruction de la toxine qui sera donc retrouvée dans le produit fini.
Par ailleurs, S. aureus peut contaminer l’aliment après cuisson du fait d’un opérateur atteint d’affection(s) ORL/cutanée(s) ou porteur sain de S. aureus sans protection adéquate.
Ainsi, que ce soit avant ou après cuisson, l’application rigoureuse des BPH, tel que respect de la chaîne du froid et hygiène personnelle des manipulateurs, est efficace pour maîtriser le danger S. aureus.
DISCUSSION : SÉLECTION ET ÉVALUATION DES MESURES DE MAÎTRISE
Les bonnes pratiques d’hygiène (BPH) sont à appliquer à chaque étape du procédé. Leur application rigoureuse permet de maîtriser efficacement les dangers bactériens thermolabiles E. cou ETEC, EPEC et EIEC, E. cou STEC, L. monocytogenes, S. typhi, Salmonella spp., Shigella spp., Y enterocolitica, S. aureus (tableau 2, colonne D).
L’application des BPH est particulièrement importante lors de la mise en vente des produits en raison des manipulations.
Cependant des mesures spécifiques de maîtrise sont à mettre en place afin de prévenir les dangers suivants : bactéries pathogènes thermosensibles durant la cuisson, C. perfringens durant l’étape de refroidissement après cuisson et lors de la présentation à la vente sur plaque chauffante et B. cereus lors de la présentation à la vente.
La cuisson est une étape importante pour la sécurité du procédé car elle permet d’assurer la destruction de toutes les bactéries pathogènes thermosensibles éventuellement présentes dans les matières premières. L’idéal serait que des mesures de température réalisées selon un protocole permettant de garantir un niveau de destruction suffisant soient réalisées à chaque opération de cuisson (ce qui correspondrait à un CCP). Une telle mesure de surveillance serait cependant très contraignante et paraît difficilement applicable par les artisans. Ces opérations de cuisson pourraient être considérées comme des bonnes pratiques de fabrication étant donné que, au cours de cette étude menée dans les conditions habituelles de travail, toutes les valeurs pasteurisatrices observées permettent un assainissement du produit largement suffisant. Si les organisations professionnelles retenaient ce point de vue, elles pourraient l’accompagner de conseils pratiques relatifs à la conduite de ces opérations.
Pour l’étape de refroidissement après cuisson, la croissance potentielle de C. perfringens évaluée dans cette étude est quasiment nulle quel que soit le procédé de refroidissement : cellule réfrigération rapide, chambre froide, pré-refroidissement dans l’ambiance de l’atelier suivi d’une introduction en chambre froide.
Dans ce dernier cas, la croissance potentielle est limitée du fait de la faible inertie thermique des tomates farcies, due à leur petite dimension, et du fait de leur introduction en chambre froide sitôt la température de 30°C atteinte. Cependant seule une étude plus complète permettrait la validation de cette pratique par rapport aux exigences réglementaires (passage de +63°C à +10°C en moins de 2 h). Elle prendrait notamment en compte (i) la variabilité du procédé (barème de cuisson, temps d’attente entre les différentes étapes, cinétique de refroidissement, température de chambre froide,...), (ii) la variabilité du produit (caractéristiques physicochimiques, contamination initiale) et (iii) la variabilité de l’espèce bactérienne (résistance à la chaleur, stress et vitesse de croissance des souches,...).
La présentation à la vente sur plaque chauffante est bien appréciée par le client. Il est cependant nécessaire de maîtriser parfaitement les conditions de maintien au chaud pour éviter le développement de bactéries pathogènes. En effet, dans le procédé étudié, la croissance potentielle de C. perfringens est évaluée à 1,4 log10, la température de conservation des tomates farcies étant proche de la température optimale de croissance (40-45°C). La croissance estimée est supérieure à la croissance maximale acceptée (à savoir 1 log10) par beaucoup d’hygiénistes ; c’est par exemple la recommandation de l’USDA (United States Department of Agriculture) pour l’étape de refroidissement rapide (USDA, 2001). Par ailleurs, la réglementation française impose une valeur minimale de +63°C pour la conservation des denrées en liaison chaude. Une mesure de maîtrise spécifique (correspondant à un CCP ou à un PRPo) serait utile à cette étape afin d’assurer le respect de cette température.
La présentation en meuble frigorifique de vente est bien adaptée à la distribution de produits préparés la veille et conservés ensuite en chambre froide. Les potentiels de croissance estimés pour cette étape sont satisfaisants (0,5 log10 pour B. cereus et absence de développement pour C. perfringens). Bien que ces potentiels de croissance soient satisfaisants, l’évolution des températures des produits (passage de 6°C à 14°C en 6h) met en évidence des performances insuffisantes ou une mauvaise utilisation des meubles frigorifiques de vente. Il est en effet obligatoire que ces derniers permettent de respecter les températures indiquées par la réglementation (+4°C) et/ou le guide de bonnes pratiques quand il existe.
Enfin la présentation à température ambiante dans le magasin, juste après cuisson, est intéressante commercialement car les tomates farcies gardent un aspect appétissant. Cependant cette pratique n’apporte pas un niveau de sécurité sanitaire suffisant. En effet le potentiel de croissance estimé est de 0,8 log10 pour C. perfringens et de 1,2 log10 pour B. cereus. Cette dernière valeur est supérieure à la limite supérieure admise si nous retenons la même que pour C. perfrmn gens, à savoir 1 log10. De plus, cette croissance potentielle est obtenue dans des conditions climatiques favorables (température ambiante entre 20 et 22°C) et sans prendre en compte la durée de conservation par les clients. Cette pratique, qui par ailleurs n’est pas conforme à la réglementation, devrait donc être abandonnée.
CONCLUSION
La méthodologie présentée dans cet article permet dans un premier temps d’identifier les dangers bactériens relatifs à la fabrication et distribution des tomates farcies par les artisans charcutiers-traiteurs. Puis sont distingués parmi ces dangers ceux qui sont maîtrisés par les PRP (Bonnes Pratiques d’Hygiène et Bonnes Pratiques de Fabrication) et ceux pour lesquels des mesures de maîtrise spécifiques sont nécessaires.
Pour cette deuxième catégorie de dangers, l’étude montre qu’une quantification du potentiel de croissance et/ou de destruction des bactéries à l’aide de modèles simples de microbiologie prévisionnelle permet d’apprécier l’incidence des diverses pratiques professionnelles sur la sécurité microbiologique. Cette quantification constitue une aide utile pour la sélection des mesures de maîtrise pertinentes. Une telle méthodologie peut être mise en oeuvre par le service qualité des entreprises, par les consultants ou par les organisations professionnelles.
Les résultats de l’analyse des dangers effectuée montrent que la présentation à la vente est une étape qui doit être mieux maîtrisée. Les températures des produits sur les plaques chauffantes et dans les meubles frigorifiques de vente ne sont pas satisfaisantes. De meilleurs réglages, l’utilisation correcte ou l’acquisition de matériels plus adaptés doivent être envisagés pour y remédier. La présentation des tomates farcies à température ambiante dans le magasin, juste après cuisson, n’apporte pas une sécurité sanitaire suffisante et devrait donc être une pratique à abandonner.
Pour autant le respect des PRP est très important. En particulier le respect des bonnes pratiques d’hygiène pendant les manipulations au stade de la mise en vente est nécessaire pour limiter les possibilités de contamination par Listeria monocytogenes, Salmonella et Staphylococcus aureus.
Remerciements
Les auteurs remercient les professionnels charcutiers traiteurs pour leur aimable collaboration à cette étude.
BIBLIOGRAPHIE
AFSSA (2009). Fiches de dangers microbiologiques www.afssa.fr, item « avis et rapports », item « autres publications », item « fiches ».
AFCHAIN, A.L., CARLIN, F., NGUYEN-THE, C., ALBERT I. (2008). Improving quantitative exposure assessment by considering genetic diversity of B. cereus in cooked, pasteurised and chilled foods. Int. Food Microbiol., 128 (1), 165-173.
CAC (CODEX ALIMENTARIUS COMMISSION) (2003). Code d’usages international recommandé — principes généraux d’hygiène alimentaire.
CAC-RCP 1-1969, rev.4. Système d’analyse des risques et points critiques pour leur maîtrise (HACCP) et directives concernant son application. Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires Rome (Italie); FAQ.
DASKALOV, H. (2006). The importance of Aeromonas hydrophila in food safety. Food Control, 17 (6), 474-483.
DE JONG, A.E.I. (2003). Clostridium perfringens : spores & cells, media & modeling. Thesis Wageningen University, Wageningen (Netherlands).
FOSSE, J., SEEGERS, H., MAGRAS, C. (2008). Foodborne zoonoses due to meat : a quantitative approach fora comparative risk assessment applied to pig slaughtering in Europe. Vet. Res., 39 (1), 1-16.
GUINEBRETIÈRE, M.-H., THOMPSON, F. L., SOROKIN, A., NORMAND, R, DAWYNDT, R, EHLING-SCHULZ, M., SVENSSON, B., SANCHIS, V., NGUYEN-THE, C., HEYNDRICKX, M., DE VOS, R (2007). Ecological diversification in the Bacillus cereus group. Environ. Microbiol, 10 (4), 851-865.
ICMSF (1996). Micro-organisms in foods 5. Characteristics of microbial pathogens. London (UK) : Blackie Academic & Professional.
JAKSIC, S., UHITIL, S., PETRAK, T., BAZULIC, D., GUMHALTER KAROLYI, L. (2002). Qccurrence of Vibrio spp. in sea fish, shrimps and bivalve molluscs harvested from Adriatic sea. Food Control, 13 (8), 491-493.
JOUE (Journal officiel de l’Union européenne) Règlement (CE) n 852/2004 du parlement et du conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires JOUE [139/1, 30.4.2004. JUNEJA, V. K., MARKS, H. M. (1999). Proteolytic Clostridium botulinum growth at 12 - 48CC simulating the cooling of cooked meat : development of a predictive model. Food Microbiol., 16, 583-592.
MAFART, R (2000) Taking injuries of surviving bacteria into account for optimizing heat treatments. Int. J.Food Microbiol., 55 (1-3), 175—179.
MATARAGAS, M., SKANDAMIS, RN., DROSINOS, E.H. (2008). Review : Risk profiles of pork and poultry meat and risk ratings of various pathogen/product combinations. Int. J.Food Microbiol., 126 (1-2), 1-12.
MEMBRÉ, J.-M. (2008). Analyse des risques : les différentes applications dans le secteur agroalimentaire. Actes du colloque
« Appréciation quantitative des risques dans la filière laitière », Cniel/Truefood, Paris (France), 16-17 octobre.
MEMBRÉ, J.-M., KAN-KING-YU, D., DE W. BLACKBURN, C. (2008). Use of sensitivity analysis to aid interpretation of a probabilistic Bacillus cereus spore lag time model applied to heat-treated chilled foods (REPFEDs), Int. J. Food Microbiol., 30, 128 (1), 28-33.
NF EN ISO 22000 (2005). Systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires - exigences pour tout organisme appartenant à la chaîne alimentaire. Afnor, Saint-Denis La Plaine (France) ICS 67.020.
NF VOl-006 (2008). Hygiène des aliments - Place de I’HACCP et application de ses principes pour la maîtrise de la sécurité des aliments et des aliments pour animaux. Afnor, Saint-Denis La Plaine (France), ICS 67.020.
NOTERMANS, S., MEAD, G.C. (1996). Incorporation of elements of quantitative risk analysis in the HACCP system. Int. J. Food Microbiol., 30 (1-2), 157-173.
NOTERMANS, S., ZWIETERING, M.H., MEAD, OEC. (1994). The HACCP concept : identification of potentially hazardous microorganisms. Food Microbiol., 11(3), 203-214.
ROSSO, L. (1993). An unexpected correlation between cardinal temperatures of microbial growth highlighted by a new model. J. Theor. Biol., 162 (4), 447-463.
SAGOO, 5K., LITTLE, C.L., GREENWOOD, M., MITHANI, V., GRANT, K.A., MCLAUCHLIN, J., DE PINNA, E., THRELFALL, E.J. (2009). Assessment of the microbiological safety of dried spices and herbs from production and retail premises in the United Kingdom. Food Microbiol., 26 (1), 39-43.
USDA (2001). Performance standards for the production of meat and poultry products : proposed rule. US Department of Agriculture, Food Safety and Inspection Service. Federal Register 66, 12589— 12636.
UNTERMANN, R (1998). Microbial hazards in food. Food Control, 9 (2-3), 119-126.
VAN GERWEN, S.J.C., DE WIT, J.C., NOTERMANS, S., ZWIETERING, M.H. (1997) An identification procedure for foodborne microbial hazards. In. t J. Food Microbiol., 38 (1), 1-15.
VAN SCHOTHORST, M., ZWIETERING, M.H., ROSS, T., BUCHANAN, R.L., COLE, M.B. (2009). Relating microbiological criteria to food safety objectives and performance objectives. Food Control, 20 (11), 967-979.
WHO WORLD HEALTH ORGANIZATION (2008). Chapter 6.1. Foodborne pathogens, toxins and chemicals of public health importance. In Foodborne disease outbreaks : guidelines for investigation and control. Geneva (Switzerland) : WHO Press.
YI-CHENG, S., CHENGCHU, L. (2007). Review. Vibrio parahaemolyticus : Aconcern of seafood safety. Food Microbiol., 24(66), 549 - 558.
ZHAO, C., GE, B., DE VILLENA, J., SUDLER, R., YEH, E., ZHAO, S., WHITE, D.G., WAGNER, D., MENG, J. (2001). Prevalence of Campylobacter spp, Escherichia coli and Salmonella serovars in retail chicken, turkey, pork and beeffrom the greater Washington, D.C, area. Applied Environ. Microbiol., 67 (12), 5431- 5436.
Aucun événement |
Pour Accéder au site V&PC depuis votre smartphone,
veuillez scanner ce flashcode.