La revue Viandes et produits carnés

La revue française de la recherche en viandes et produits carnés  ISSN  2555-8560

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 ENVIRONNEMENT

 
 

Les filières viande face à leurs défis : quelle vision pour demain ?

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Les filières viande face à leurs défis : quelles visions pour un développement durable du secteur de l’élevage ?

La hausse de la demande en viande résulte en un développement rapide du secteur de l’élevage. Cet article propose une introduction aux défis d’un développement durable de l’élevage.

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INTRODUCTION

À l’horizon 2050, la planète devrait compter 9.6 milliards d’habitants (UN, 2013). L’accroissement démographique devrait être particulièrement marqué dans les zones qui sont fortement dépendantes de l’agriculture et dans lesquelles on enregistre déjà des taux élevés d’insécurité alimentaire.
Comment accroître la productivité, conserver les ressources naturelles et utiliser les intrants de manière durable et efficace ? La grande diversité des systèmes d’élevage dans le monde et les attentes variées portant sur le secteur ont contribué à renforcer les difficultés rencontrées par les politiques publiques en matière d’élevage. Cette diversité a également limité la compréhension de ces nouveaux défis et l’identification de solutions afin de produire plus avec moins et d’une façon qui bénéficie à tous.
Loin de se vouloir une synthèse sur les défis des filières viandes ou un positionnement institutionnel, cet article propose une introduction à la question afin de présenter les principaux enjeux actuels et à venir et les controverses déjà existantes.

 

I. CROISSANCE DE LA DEMANDE

D’ici 2050, la demande en produits de l’élevage pourrait augmenter de 70%, et celle en viande de 80%, principalement en raison de l’augmentation de la population mondiale, de son urbanisation et de la hausse globale des revenus (FAO, 2009). La consommation de produits carnés, mais aussi d’œufs, progresse particulièrement dans les pays en voie de développement, alors que celles en céréales et tubercules reste globalement stable (Figure 1).
La croissance la plus importante a lieu en Asie de l’Est, où la consommation de produits carnés par habitant est passée de 4.5 kg en 1961 à 56.3 kg en 2011. En Amérique du Sud, la consommation a presque doublé, passant de 38.9 kg en 1961 à 78.5 kg en 2011. En Europe, après avoir progressé jusqu’au début des années 90, la consommation de viande par habitant oscille désormais entre 70 et 75 kg par an.
Cette croissance de la demande a lieu dans un contexte de finitude des ressources na¬turelles, de changement climatique et d’attentes sociétales grandissantes pour un développement plus équitable. Le développement du secteur qui résulte de la hausse de la demande pose aujourd’hui des questions ayant trait à :

  • La santé (animale et humaine),
  • L’équité,
  • L’environnement.
Figure 1 : Consommation par an et par habitant des principales ressources alimentaires dans les pays en voie de développement. Index 100 en 1961

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Source : FAOSTAT, 2014

 

II. ELEVAGE ET SANTÉ (ANIMALE ET HUMAINE)

Les produits animaux sont essentiels à la nutrition et à la sécurité alimentaire. Ils procurent environ 26% de la consommation totale de protéines et 13% des calories (FAO, 2009). Ils sont également  sources de nutriments et vitamines essentiels, en particulier pour les enfants en croissance, mais aussi pour les femmes en âge de procréer et les personnes âgées (sarcopénie).
Mais il est également reconnu que la surconsommation de produits de l’élevage, en particulier de viande, riche en acides gras saturés, peut avoir des impacts négatifs sur la santé humaine, comme le développement de maladies cardiovasculaires (WHO-FAO, 2002). Le lien entre surconsommation de viande et obésité est également fortement documenté (Rouhani et al., 2014).
Le développement durable de l’élevage doit donc contribuer à améliorer la santé humaine non seulement en renforçant la sécurité alimentaire et la qualité de la nutrition mais également, là où cela est nécessaire, en rétablissant une consommation raisonnée.
Les maladies qui touchent le bétail peuvent avoir des effets dévastateurs sur la productivité animale, sur le commerce d’animaux sur pied, de viande et autres produits d’origine animale, sur la santé humaine et, par conséquent, sur l’ensemble du processus de développement économique.
Durant les 3 dernières décennies, 6 épizooties majeures ont été enregistrées et l’OIE estime à 80 milliards de dollars US les pertes économiques, directes ou indirectes, qui leur sont imputables. En outre, les maladies des animaux d’élevage représentent aussi une menace pour la santé humaine : plus de 60% des agents pathogènes connus sont d’origine animale (Taylor et al., 2001) et les pathogènes d’origine alimentaire, fortement liés aux produits animaux, sont responsables de 1.8 millions de décès par an, selon l’OMS.
Du fait de la mondialisation et des changements climatiques, on observe actuellement une progression sans précédent de maladies animales et de zoonoses d’apparition récente et à une recrudescence des maladies non récentes (Thornton et al., 2009).

 

III. ELEVAGE ET ÉQUITÉ

Dans les pays en voie de développement, 60% des foyers ruraux élèvent des animaux. Cela signifie que 1,7 milliards de personnes dans le monde dépendent partiellement ou entièrement de l’élevage pour survivre. Parmi eux, on compte environ 1 milliard d’éleveurs vivant sous le seuil de pauvreté, dont 150 millions de pastoralistes (FAO, 2009).

Les animaux d’élevage contribuent significativement au développement rural. Ils sont une source de denrées commercialisables à tout moment, qui peuvent être produites à l’échelle familiale, et dont la valeur est généralement plus élevée que celle de nombreuses autres cultures. Activité agricole à revenu relativement élastique, l’élevage offre aux ménages ruraux une possibilité particulièrement intéressante de participer à la croissance économique, en particulier à proximité des centres urbains. Les animaux sont aussi des éléments d’actifs qui contribuent directement à la production agricole comme moyen de traction et indirectement comme réserve de trésorerie pour des investissements futurs. Enfin, ils contribuent à la fertilité des sols grâce aux fumiers et lisiers et au recyclage des sous-produits de l’agriculture, tels que sons de céréales, tourteaux etc.
 
Le secteur de l’élevage connait actuellement un développement très rapide (3.5% par an), ce qui renforce son rôle déjà fondamental dans la croissance économique et le recul de la pauvreté. D’autant plus que cette croissance a lieu essentiellement dans les pays en voie de développement (Figure 2).

Figure 2 : Production mondiale de viande

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Source : FAOSTAT, 2014

De nombreux éleveurs peuvent bénéficier directement de la croissance de la demande en produits d’origine animale. En outre, les plus pauvres peuvent aussi bénéficier du fait que le développement de l’élevage crée des emplois, stimule les liens entre industries fourragères et industries de transformation, soutient la balance commerciale, favorise la sécurité alimentaire en renforçant l’offre et peut entraîner une baisse des prix des aliments d’origine animale.
Cette hausse de la demande mondiale représente donc une opportunité pour un grand nombre de foyers ruraux. Mais on constate que la plupart des petits producteurs sont toujours exclus de ces marchés, fournis essentiellement par le développement d’unités de production de grande taille, à proximité des centres urbains (Steinfeld et al., 2010).
Les marchés mondiaux des produits de l’élevage représentent aujourd’hui plus de 180 milliards de dollars US par an. Entre 1980 et 2006, les exportations de viande ont été multipliées par 3 (FAO, 2009). Bien qu’une grande partie des produits de l’élevage soit consommée localement, la part de la production exportée progresse. Aujourd’hui, on estime que 16% de la volaille, 12% du porc et 15% du bœuf sont exportés. Cependant, ces chiffres masquent de grandes disparités entre pays. Le Brésil, la Chine, l’Inde et la Thaïlande sont les seuls pays exportateurs nets de viande parmi les pays en voie de développement. Alors que les pays les moins avancés se retrouvent de plus en plus dépendants des importations : la part des importations dans la consommation est passée de 1% en 1960 à plus de 8% en 2010. Cela pose des problèmes d’autonomie alimentaire et de déplacements des impacts environnementaux.  Le développement de l’élevage en réponse à la croissance de la demande en produits animaux ne peut être conduit uniquement par la compétitivité des filières.

 

IV. ELEVAGE ET ENVIRONNEMENT

L’expansion de l’élevage exerce une pression croissante sur les ressources naturelles mondiales. Il contribue à leur épuisement et à leur détérioration: les pâturages sont menacés de dégradation; la déforestation est pratiquée pour cultiver des aliments du bétail; les ressources en eau se raréfient; la pollution de l’air, de l’eau et des sols augmente; et les ressources génétiques d’animaux adaptés aux conditions locales s’amenuisent.
Dans le monde, environ 20 pour cent des pâturages et des terres de parcours, lesquelles sont pour plus de 70 pour cent situées dans les zones arides, sont plus ou moins dégradés sous l’effet du surpâturage, du compactage et de l’érosion due au pacage des troupeaux. Ces tendances affectent plus particulièrement les terres arides, car l’élevage est souvent la seule source de revenu des personnes qui vivent dans ces zones (FAO, 2011).
Le défrichement pour la production d’aliments du bétail et l’expansion des pâturages contribuent de façon importante la déforestation des grandes forêts tropicales et équatoriales. Cette déforestation a d’importantes conséquences environnementales telles que le relâchement de grandes quantités de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et l’extinction de (FAO, 2010, 2013)
L’eau douce se raréfie tandis que le secteur de l’élevage absorbe près du dixième de la consommation mondiale humaine. L’élevage est une des principales sources de pollution de l’eau douce, contribuant à l’eutrophisation des cours d’eau et des nappes phréatiques. Il contribue également au développement des zones ‘mortes’ dans les régions côtières et à la dégradation des récifs coralliens (Steinfeld et al., 2006)
On estime qu’environ 80% de l’accroissement de la production animale a lieu dans des unités de production de grande taille, de type industriel, concentrées autour des principaux centres urbains. Cette forte concentration d’animaux à proximité de zones à haute densité humaine est à l’origine de pollutions par les effluents d’élevage, mais également les substances telles que les antibiotiques et les hormones. La transformation des produits et sous-produits de l’élevage contribue également aux pollutions chimiques, comme les tanneries, par exemple.
Dans le même temps, l’élevage permet de transformer des ressources non comestibles à l’homme en denrées alimentaires à haute valeur nutritive, comme les sous-produits de l’agriculture mais également de l’industrie agro-alimentaire ou encore les déchets ménagers (Figure 3). Bien que l’élevage consomme environ 30% des céréales produites dans le monde, une grande partie de son alimentation ne rentre donc pas en compétition avec l’alimentation humaine (près de 80% de la matière sèche ingérée, figure 3).  De plus, sans l’élevage, pâturages et parcours seraient susceptibles de se dégrader également dans certaines régions et systèmes. L’élevage extensif, s’il est bien conduit, contribue en effet à la biodiversité, à la lutte contre l’enfrichement, à la protection des sols et des eaux de surface et pourrait constituer un stock de carbone important.
Enfin, l’élevage est fortement exposé aux impacts du changement climatique (Figure 4), en particulier dans les zones déjà fortement marginalisées, comme le Sahel ou la Corne de l’Afrique. Il est urgent de réduire les émissions mais également de renforcer les capacités d’adaptation des populations qui dépendent de l’élevage pour leur subsistance.

Figure 3 : Composition de la rations alimentaire mondiale des animaux d’élevage (bovins, ovins, caprins, porcins et volaille

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Source : GLEAM

Figure 4 : Exposition au changement climatique des éleveurs vivants sous le seuil de pauvreté

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V. DISCUSSION

Il existe 3 façons contrastées de regarder le problème du développement de l’élevage dans un contexte de finitude des ressources naturelles, comme résumé par Garnett (2014), chacune impliquant une approche différente de la mesure des performances des systèmes de production.
Premièrement, on peut considérer que l’on manque de nourriture, en particulier de produits carnés, et qu’il faut produire plus en consommant moins et en polluant moins (croissance verte) donc en améliorant les performances des systèmes par kg de produit (par exemple, litres d’eau/kg de viande ou kgCO2-e/kg de lait).
On peut a contrario penser qu’il est nécessaire de réduire notre consommation de produits animaux afin de diminuer la pression sur les ressources naturelles tout en réduisant les risques sanitaires liés à la surconsommation. Les performances des systèmes se mesurent alors de façon absolue, c’est-à-dire par exemple en ha/personne ou en kg CO2-e/personne.
On peut enfin aborder le problème sous l’angle des inégalités et de la répartition : l’accès à l’alimentation devrait être plus équitable et les solutions sont à rechercher du côté institutionnel et des politiques économiques. Les performances des systèmes sont en fait hors de sujet.
Le développement durable de l’élevage doit pouvoir intégrer ces trois visions.
Prenons l’exemple du changement climatique. Afin d’atténuer sa contribution, l’élevage peut réduire ses émissions de gaz à effet de serre. On estime qu’une atténuation de 30% est aujourd’hui possible, sans changement de systèmes, sans innovations technologiques et sans perte de production (FAO, 2013). Ce potentiel est réalisable en réduisant les écarts d’intensités d’émissions entre les producteurs les plus performants et les producteurs les moins performants, au sein de chaque région et système. Il existe en effet une grande variabilité d’intensités d’émissions dans les systèmes d’élevage (Figure 5).
 

Figure 5 : Intensité d’émissions de GES des principaux produits animaux

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Source : FAO, 2013

Améliorer l’efficience des systèmes et des filières, c’est aussi réduire les pertes et gaspillages. On estime que 30% de la production alimentaire mondiale est perdue chaque année (FAO, 2013b). Le lait et la viande comptent pour 11% du total des pertes. Dans les pays industrialisés, les pertes ont lieu essentiellement aux stades de distribution et de consommation alors que dans les pays en voie de développement, les stades de production, post-production et transformation sont les plus gaspilleurs.
Les gains d’efficience sont donc essentiels pour réduire l’impact de la production de viande sur l’environnement. Cependant, réduire l’intensité d’émission ne signifie pas forcément réduire les volumes totaux d’émissions, si on considère les niveaux de production rapportés par certaines projections. Si la production de viande est effectivement amenée à progresser de 80% d’ici 2050, il faudrait une réduction simultanée de l’intensité d’émission de 80% pour simplement maintenir les émissions de GES de la production de viande à leur niveau actuel. En outre, les projections aujourd’hui disponibles ne tiennent pas compte de la répartition des ressources ni des inégalités dans l’accès à l’alimentation.
Les gains d’efficience ne peuvent donc répondre seuls aux nouveaux défis de l’élevage. Cela se reflète dans les positions des différentes parties prenantes du secteur, qui ne peuvent pas être rattachées dans une ou l’autre de ces 3 visions. Il est important de se rendre compte que producteurs, consommateurs, politiques, chercheurs, nous avons tous un biais vis-à-vis du débat sur la place de l’élevage dans la société.

En conclusion, on peut donc distinguer 5 principes clés pour soutenir et accélérer la transition vers des filières d’élevage plus durables :

  • Efficience : améliorer l’efficience dans l’utilisation des ressources, qu’il s’agisse des ressources naturelles, de l’énergie ou du travail (productivité) ;
  • Conservation : conserver les ressources naturelles et réduire les impacts négatifs sur l’environnement par une gestion agricole durable;
  • Protection : protéger les moyens de subsistance des producteurs, améliorer l’équité et le bien-être social, l’accès aux ressources ;
  • Résilience : renforcer la résilience des communautés et des écosystèmes les plus vulnérables, en particulier au changement climatique et à la volatilité des marchés ;
  • Gouvernance : équilibrer les initiatives privées et publiques, responsabiliser les acteurs, assurer équité, transparence et application de la règle de droit.

 

Références :

FAO (2009). The State of Food and Agriculture. Livestock in the Balance. Rome: FAO.
FAO (2010). Global Forest Resources Assessment 2010 Main Report. Rome: FAO.
FAO (2011). The state of the world’s land and water resources for food and agriculture (SOLAW) – Managing systems at risk. Food and Agriculture  Organization of the United Nations, Rome and Earthscan, London.
FAO (2013). Gerber, P. J., Steinfeld, H., Henderson, B., Mottet, A., Opio, C., Dijkman, J., & Tempio, G. (2013). Tackling climate change through livestock: a global assessment of emissions and mitigation opportunities. Rome: FAO.
FAO (2013b). Food wastage footprint. Impacts on natural resources. Rome: FAO.
Garnet T. (2014). Livestock in the frame: Exploring alternative visions of sustainability. Livestock, Climate Change and Food Security conference, Madrid, Spain, May 2014.
Gerber P. J., Steinfeld H., Henderson B., Mottet A., Opio C., Dijkman J., ... & Tempio G. (2013). Tackling climate change through livestock: a global assessment of emissions and mitigation opportunities. Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO).
Steinfeld H., Mooney H.A., Schneider F., Neville L. E. (2010). Livestock in a changing landscape, Volume 1: Drivers, consequences, and responses (Vol. 1). Island Press.
Steinfeld H. et al. (2006). Livestock's long shadow: Environmental issues and options. Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO).
Taylor L. H., Latham S. M., Mark E. J. (2001). Risk factors for human disease emergence. Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences, 356, 1411, 983-989.
Thornton P. K., Van de Steeg J., Notenbaert A., Herrero M. (2009). The impacts of climate change on livestock and livestock systems in developing countries: A review of what we know and what we need to know. Agricultural Systems, 101, 3, 113-127.
WHO-FAO (2002). Diet, nutrition and the prevention of chronic diseases: report of a Joint WHO/FAO Expert Consultation. World Health Organization.
Rouhani M. H., Salehi‐Abargouei A., Surkan P. J., Azadbakht L. (2014). Is there a relationship between red or processed meat intake and obesity? A systematic review and meta‐analysis of observational studies. Obesity Reviews.

 

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