La revue Viandes et produits carnés

La revue française de la recherche en viandes et produits carnés  ISSN  2555-8560

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 ENVIRONNEMENT

 
 

Déterminants et enjeux de l’opposition aux projets d’élevages porcins en Bretagne

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Analyse de la perception par les acteurs de la filière porcine

Les projets d’élevages porcins se heurtent régulièrement à des oppositions de la part d’associations d’origines diverses en raison des nuisances qu’ils occasionneraient sur le voisinage ou de leur impact environnemental. En recherchant les déterminants de la contestation, ce travail vise à identifier des leviers favorisant une meilleure cohabitation entre éleveurs et citoyens et facilitant la réalisation de projets d’élevages.

materniteINTRODUCTION

La plupart des maillons de la production et de la transformation des viandes sont soumis à la critique sociale. Sont ainsi remises en cause les conditions de travail dans les industries de la viande, la prise en compte insuffisante du bien-être  animal lors des étapes de transport ou du stress et de la douleur lors de l’abattage.  (Terlouw et al., 2006, 2011 ; Hochereau et Selmi, 2013).
L’élevage, première étape du process, n’échappe pas à la critique. Celui de porcs est particulièrement décrié par les médias et l’opinion publique car, malgré de nombreuses évolutions de ses pratiques, il symbolise souvent les inconvénients liés aux productions animales : les nuisances olfactives (Nicourt, 2000) et impact environnemental (sondages 2012 réalisé par le CSA pour France nature environnement et par agriculteurs de Bretagne). Ces critiques sont particulièrement perceptibles depuis les années 1990 à partir desquelles les habitants du monde rural sont majoritairement issus d’un milieu non agricole (Mathieu, 1998). Cette période correspond aussi à l’émergence, au sein de la société toute entière, et pas seulement rurale, d’une mobilisation autour de la préservation de l’environnement, notamment de la qualité de l’eau, puis, plus récemment, du mode d’élevage des animaux. Ces différentes critiques et attentes  peuvent générer des évolutions réglementaires (Le Programme Maitrise des Pollutions d’origine animale est décidé en 1993, les normes minimales de protection des porcs sont définies par directive européenne en 2008) mais aussi engendrer la critique sociétale de certaines formes d’élevage.

Au niveau local, cette critique peut prendre plusieurs formes et s’exercer à différentes échelles, depuis des reproches plus ou moins clairement exprimés lors de confrontations verbales jusqu’à la survenue d’un réel conflit, voire d’un possible recours en justice. L’objectif de cette étude est de mieux comprendre les déterminants sociaux générant la survenue de tels conflits afin d’identifier les facteurs favorisant la coexistence des élevages porcins avec les autres acteurs du territoire et facilitant la réalisation de projets indispensables à la pérennisation des élevages. La première étape de ce travail, présentée dans cet article, repose sur l’analyse du point de vue des éleveurs et de leurs partenaires.

 

I. MATERIELS ET METHODES

Vingt et un entretiens ont été conduits auprès d’acteurs de la filière. Tout d’abord sept techniciens en charge de l’accompagnement des éleveurs lors de la constitution des projets et de la rédaction des dossiers d’étude d’impact. Puis 14 éleveurs choisis, parmi 29 cas de conflits survenus sur l’ensemble du territoire breton au cours des dix dernières années, pour représenter une diversité de types, dimensions et zones d’implantation des projets mais aussi de profils d’exploitants (cf. encadré 1).
Deux trames d’entretiens semi-directifs ont été construites. Celle destinée aux techniciens comporte trois parties qui décrivent successivement (I) la mission du technicien, (II) son mode d’accompagnement de l’éleveur, (III) son point de vue sur l’émergence des conflits. Celle destinée aux éleveurs comporte cinq parties : (I) l’historique de l’exploitation et le parcours de l’éleveur, (II) la description du projet ayant rencontré une opposition, (III) la forme et le déroulement du conflit, (IV) l’avis sur d’autres projets contestés, (V) le bilan rétrospectif.
Tous les entretiens ont été enregistrés et ont fait l’objet d’une transcription intégrale ou semi intégrale. Leur contenu a été analysé de manière thématique et structurale, et confronté aux rapports d’enquêtes publiques et à des articles de la presse quotidienne (Ouest-France et le Télégramme) lorsqu’ils étaient disponibles.

 

Encadré 1 : Typologie des cas analysés (Cf. Tableau 1)

Au moment du conflit, huit éleveurs exerçaient des responsabilités professionnelles (groupement, syndicalisme…). Onze sont impliqués dans la vie locale : dans le conseil municipal (7) et/ou dans des associations culturelles ou sportives. La plupart des 14 éleveurs déclarent y participer activement, par exemple lors d’animations locales. Trois éleveurs évoquent certaines difficultés d’insertion. Parmi les éleveurs ayant des responsabilités professionnelles ou politiques, certains sont des personnalités départementales ou régionales connues et pouvant incarner un modèle d’agriculture, un syndicat agricole (FDSEA) ou encore un courant politique.
Les projets concernent majoritairement des élevages naisseurs-engraisseurs (10 cas) mais aussi de naissage (2 cas) ou d’engraissement (1 cas) ou encore un site de traitement collectif de déjections (1 cas).  Dans un cas, la production est biologique. La taille de l’atelier porcin, à l’issue du projet, va de 85 à 700 truies. Les projets sont divers : agrandissement ou restructuration des bâtiments existants (8 cas) et/ou mise en place d’un système de traitement des déjections (3 cas). Pour quatre autres cas, Il s’agit d’implanter une porcherie sur un site initialement sans porcs. Les projets sont implantés dans différents types de territoires : zone littorale (5), proximité d’une ville de moyenne ou grande taille (3), ou zone rurale (6). Il peut parfois s’agir de zones de faible densité porcine au regard de la situation bretonne (5 cas).
A l’issue des entretiens, il s’avère que deux des projets identifiés par les techniciens n’ont pas généré de conflit (F et L). Les données issues de ces deux entretiens sont néanmoins intégrées dans l’analyse car elles apportent des éléments complémentaires. Le premier éleveur explique comment il a pu stopper un début d’opposition sociétale et ainsi éviter le conflit. Le deuxième, confronté à des difficultés non pas sociétales mais administratives, apporte son point de vue sur les divisions au sein du monde agricole.


Tableau 1 : Caractéristiques des 14 exploitations (codées A à N) à l’issue des projets identifiés

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II. RESULTATS ET DISCUSSIONS

Il apparait tout d’abord que les éleveurs rencontrés n’ont pas eu de questionnement préalable, en amont du conflit, sur la perception de leur projet par les autres acteurs du territoire. Parfois parce qu’ils estiment ne pas devoir le justifier auprès des tiers. Surtout, parce que leur projet répond à des objectifs précis et cohérents aux yeux de l’éleveur. Il  permet par exemple d’optimiser les résultats technico-économiques de l’élevage ou d’apporter une solution à des problèmes de résorption des effluents ou de réduction de nuisances vis à vis de riverains. Dans ce cas, les éleveurs sont encore plus convaincus du bien-fondé du projet et de sa légitimité aux yeux des tiers. « On quittait un bourg pour aller en pleine campagne, où il y a déjà trois ou quatre éleveurs. On ne pensait pas que ça poserait tant de problèmes ». C’est également le cas lorsqu’il s’agit d’un projet en agriculture biologique (cas B). Les éleveurs soulignent aussi la conformité juridique du projet qui devrait les prémunir de tout risque de contestation.
L’absence de questionnement initial sur la perception du projet par les tiers ainsi que le déroulement sans problème de projets antérieurs expliquent que la plupart des éleveurs n’ont pas jugé utile de présenter et d’expliquer leur projet aux tiers. Ce manque d’anticipation correspond aussi au fait qu’il s‘agit d’une démarche souvent jugée difficile par les éleveurs, en raison de problèmes relationnels individuels ou d’un lien social distendu par l’évolution de la population dans les communes rurales. Enfin, comme le soulignent Maquet et al. (2011), les éleveurs peinent souvent à communiquer hors du secteur agricole. Ils préfèrent souvent se taire par crainte des réactions ou car ils peinent à ne pas utiliser un « jargon » technique. Au final, 9 des 14 éleveurs rencontrés n’ont tenté aucune communication préalable pour expliquer le contenu et l’objectif de leur projet. Cinq ont présenté le projet aux riverains et/ou à l’ensemble des conseils municipaux consultés. Dans le cas de certains dossiers emblématiques (G et M), les éleveurs ont également contacté des opposants pressentis parmi les représentants syndicaux ou professionnels pour en expliquer les objectifs.
A l’exception d’un projet de petite dimension (B), tous les conflits étudiés se sont déroulés à l’occasion d’une enquête publique. C’est souvent le cas car elle offre une fenêtre d’expression aux critiques (Nicourt, op. cit.). Selon les techniciens, cette étape est d’ailleurs perçue comme un risque potentiel par les éleveurs et certains d’entre eux préfèrent opter pour un projet simplifié qui n’engagera pas d’enquête publique. D’autres encore préfèrent renoncer à tout projet.
L’opposition commence presque toujours (11 cas) très localement par l’implication de voisins (tableau 2). Dans trois cas, il s’agissait de membres d’une association environnementale pour qui la mobilisation est un acte militant. Mais, plus souvent, elle semble liée à la crainte ou à l’existence de nuisances, non détectées par l’éleveur. Selon les éleveurs, et d’après la lecture des registres d’enquêtes publiques, les riverains s’engagent souvent dans le conflit par crainte de préjudice économique : dépréciation immobilière, baisse du chiffre d’affaires dans le cas d’activités de tourisme… (5 cas) et par peur de nuisances sonores, visuelles et surtout olfactives (10 cas), cf. tableau 2. Conformément aux observations de Nicourt (op. cit.), l’existence préalable ou la crainte de nuisances olfactives, issues de l’élevage ou lors des épandages, semblent donc constituer la principale source d’inquiétude. Ces craintes sont plus importantes chez les riverains de porcheries que chez ceux d’élevages bovins (Wing et Wolf, 2000). Les odeurs sont, selon Berdagué et Bonneau (2008), un des premiers facteurs limitant le développement de l’élevage porcin. Selon les techniciens, les craintes sont exacerbées lorsque le projet se situe dans une zone de faible densité porcine pour la région ou, a fortiori, s’il s’agit d’implanter un élevage de porcs là où il n’y en a pas. Conformément aux observations de Darly et Torre (2008) et de l’INSPQ (2009), cela illustre le caractère préventif des processus de conflits. Les réactions traduisent à la fois la préservation d’intérêts individuels tels que cités ci-dessus et la crainte de la survenue d’autres projets ultérieurs.
Le comportement de l’éleveur peut également être pour partie à l’origine de l’opposition. Conformément aux conclusions de plusieurs auteurs (Nicourt et Gasparo, 2005 ; INSPQ, 2009), les techniciens et certains éleveurs insistent sur l’importance des pratiques professionnelles, de l’esprit d’ouverture ou de l’attitude des éleveurs à l’égard des tiers. Mais le niveau d’implication locale des éleveurs rencontrés souligne que l’insertion sociale ne suffit pas toujours à se prémunir contre les risques de survenue d’oppositions. La prise de fonctions ou de responsabilités locales peut parfois a contrario transformer les éleveurs en cibles potentielles. Cinq des conflits étudiés semblent liés à des rivalités politiques locales.
Les opposants aux projets sont parfois eux-mêmes des agriculteurs. Il peut alors s’agir de l’expression de rivalités personnelles mais aussi d’un positionnement syndical contre un modèle de production considéré trop intensif et/ou qualifié d’industriel. La mobilisation de représentants d’OPA (élus de Chambres d’agriculture, de coopératives...) ou de syndicats pour ou contre le projet illustre les divisions au sein du monde agricole et notamment l’opposition entre les partisans d’un modèle agricole conventionnel « intensif » et les défenseurs d’une agriculture « plus familiale » voire « alternative ». Ce positionnement de représentants agricoles contre un projet permet aux autres opposants, de légitimer leur cause et la pertinence de leurs arguments à l’image de cette opposante : « J'étais comme les citadins qui viennent en vacances et qui ne connaissent pas grand-chose du mode de fonctionnement de l'agriculture. On a appris en se renseignant auprès d’agriculteurs avec qui on peut dialoguer. »
Les propos des éleveurs et des techniciens et la lecture de la presse quotidienne régionale indiquent que la contestation s’appuie plus souvent sur la critique d’un modèle d’élevage jugé trop intensif que sur la contestation d’un aspect précis du projet. Les arguments employés sont rarement en lien avec le bien-être des animaux. Ils évoquent en premier lieu la protection de l’environnement (8 cas). Le caractère industriel du projet, et d’une manière générale l’agrandissement des élevages, sont également souvent critiqués et opposés à une autre forme d’agriculture jugée plus familiale (7 cas). Ces arguments sont mis en avant par des représentants d’associations de défense de l’environnement et de promotion d’un autre type d’agriculture mais aussi par des particuliers, notamment des riverains, bien que leurs motivations initiales correspondent souvent, selon les éleveurs, à la défense d’intérêts personnels. D’ailleurs, la survenue de mouvements d’opposition contre des projets de dimension modeste (C et K) voire en rupture avec le modèle d’élevage contesté (projet B : élevage biologique sur paille), confirme les conclusions d’une étude québécoise selon laquelle les méthodes d’élevage, le type de propriété et la taille des élevages ne semblent pas influencer l’acceptabilité des projets. Par contre, la modernité des installations et leur éloignement des tiers favoriseraient l’acceptation, surtout dans le cas d’implantation de nouveaux sites (INSPQ, op.cit.). Dans la plupart des cas, qu’il y ait eu communication en amont ou pas, les éleveurs sont surpris de la survenue d’une opposition, ou du moins de son importance. Ce manque d’anticipation les conduit souvent à adopter soit une posture de repli et d’évitement soit à apporter des réponses trop tardives ou trop défensives, voire agressives, pour instaurer un dialogue et stopper le processus menant au conflit.
Eleveurs et techniciens éprouvent souvent des difficultés à accepter les revendications et les arguments des opposants. Ils mettent en avant le bien-fondé ou la conformité juridique du projet, ainsi que leur antériorité de présence et le rôle de l’agriculture sur l’économie locale. Ils opposent aux craintes des riverains l’existence d’autres types de nuisances auxquelles ils seraient confrontés s’ils habitaient en ville. Enfin, ils déplorent le manque de reconnaissance des efforts et progrès réalisés par la profession pour réduire les pollutions et qualifient souvent l’opposition de « générale », voire « philosophique ». Mais l’exposé de ces arguments repose souvent sur une évaluation personnelle ou professionnelle, partagée uniquement avec les partenaires ou les pairs, et non discutée en amont avec d’autres parties prenantes. Cela contribue sans doute à expliquer - avec le manque d’anticipation et, parfois, de lien social - l’incapacité fréquente des éleveurs à instaurer un dialogue avec les opposants.
Les conflits sont rarement sans impact sur le déroulement des dossiers. Seuls trois des conflits analysés n’ont pas généré de modification ou de complication particulière. Dans les autres cas, l’éleveur a dû déposer un nouveau dossier (4 cas), n’a pas obtenu l’autorisation d’exploiter ou encore l’a vue annulée (5 cas). En définitive, 8 des 12 dossiers conflictuels sont aujourd’hui réalisés et clos, 2 sont réalisés mais restent sous la menace d’une annulation de l’autorisation d’exploiter et 2 ont été abandonnés par les éleveurs. Les conséquences peuvent aussi être lourdes pour l’éleveur et son exploitation. Une opposition même modérée peut être anxiogène pour l’éleveur car il n’est pas possible de prévoir ni son ampleur ni ses conséquences. Le stress est d’abord généré par l’inquiétude de devoir abandonner le projet et par les conséquences sur la pérennité de l’exploitation. Les critiques interpellent aussi l’éleveur en tant que représentant d’une profession et des pratiques de celle-ci (Bonnaud et Nicourt, 2006). « Moralement c’est très difficile d’être pris pour des menteurs, des pestiférés, des pollueurs. J’en ai encore la chair de poule. » De plus, le caractère public voire médiatique du conflit et l’imbrication des sphères professionnelles et privées amènent souvent les éleveurs à percevoir le conflit comme une atteinte à la vie privée et une attaque contre l’individu. Enfin, puisque le conflit est presque toujours initié par des acteurs locaux, potentiellement des voisins ou des relations personnelles, il est parfois vécu comme une trahison (Nicourt et Gasparo, op.cit.).

Tableau 2 : Profil des opposants dans les 12 cas de conflits

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CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Le conflit est révélateur de l’image de la production porcine. D’une part, les inquiétudes relatives aux nuisances olfactives et à leurs conséquences constituent souvent un élément déterminant du déclenchement du conflit. D’autre part, son impact environnemental jugé plus important que celui d’autres productions animales permet aux opposants de justifier leur position.
Le conflit est aussi souvent révélateur d’enjeux locaux. Il traduit la défense d’intérêts personnels au regard des nuisances potentielles évoquées ci-dessus. Exacerbé lorsque le projet se situe dans une zone de faible densité d’élevages porcins, il correspond aussi parfois à une lutte de pouvoir entre les populations en place pour l’orientation de l’usage des territoires. L’éleveur et son projet deviennent alors les symboles d’un combat emblématique autour desquels les différents lobbies se positionnent.     
Bien que les éleveurs évoquent souvent la cristallisation de nombreuses critiques à l’égard de la production porcine, et malgré le fait que l’opposition soit presque toujours initiée par des acteurs locaux qu’ils connaissaient préalablement, les éleveurs apparaissent toujours surpris de la survenue d’un conflit ou de son ampleur. En effet, le conflit résulte souvent d’une incompréhension et est aussi révélateur de la place de l’éleveur dans un monde en mutation. Ces évolutions correspondent aux changements sociodémographiques du territoire rural. Elles reposent aussi sur l’extension du débat citoyen à un public toujours plus vaste et diversifié, notamment au travers des réseaux sociaux, et sur des sujets de plus en plus variés. Ainsi, la critique de l’impact des élevages ne se limite plus à la question environnementale issue des années 1990. A l’image de la contestation, aux Pays-Bas, de la construction ou du développement des méga-fermes porcines, elle aborde désormais, les conditions de vie des animaux et les risques pour la santé humaine (Breeman, 2013). Ces types d’interpellations sociétales existent également vis à vis de l’abattage depuis de nombreuses années (Terlouw C. et al, 2011, op cit). En France elles étaient jusqu’à présent peu développées à l’encontre de l’élevage envers lequel la critique était d’abord environnementale, notamment au cours des années 2000, période de déroulement des projets étudiés. Mais la lecture de rapports d’enquêtes publiques récentes ou en cours et d’articles de la presse quotidienne régionale liés indique qu’elles sont désormais fréquentes. L’évolution des interpellations adressées aux éleveurs souligne que l’apport de solutions techniques aux critiques formulées, bien que nécessaire, n’est souvent pas suffisante pour améliorer la perception globale du projet et des élevages en général. Il s’agit d’avantage de progresser dans la compréhension des perceptions et attentes mutuelles. Or, lorsque le conflit surgit, les éleveurs éprouvent souvent une réelle difficulté, voire une incapacité, à comprendre les autres parties prenantes et à répondre à leurs attentes. Ils apparaissent centrés sur leurs propres critères d’évaluation.
Parallèlement à cela, les opposants ne semblent pas s’interroger davantage sur les enjeux et les caractéristiques des projets qu’ils contestent. Ils apparaissent tout aussi focalisés sur leur propre référentiel. Mais ils se positionnent comme des acteurs ayant la volonté de dépasser des enjeux individuels et mettent en avant la préservation d’enjeux collectifs. Le conflit peut alors devenir l’illustration du rejet d’un modèle d’élevage et de l’opposition entre deux réseaux à laquelle l’enquête publique offre une fenêtre d’expression.
Pour cette raison, l’enquête publique est crainte des éleveurs. La création d’un nouveau régime dit d’enregistrement permet désormais à certaines exploitations porcines, selon leur taille, d’éviter la procédure d’autorisation du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et ainsi l’enquête publique en cas de projet. Mais cette évolution réglementaire ne résoudra pas le risque de critique locale. Tout d’abord, de nombreux projets correspondront à des dimensions ou des contextes pour lesquels une enquête publique restera nécessaire. De plus, la disparition de cette fenêtre d’expression publique et officielle pour les opposants pourrait conduire ces derniers à élaborer de nouvelles modalités d’action. La diversité des moyens utilisés lors des conflits analysés illustre cette capacité d’adaptation des opposants à l’évolution d’un contexte, capacité face à laquelle les éleveurs sont souvent démunis. Ils ne parviennent pas à utiliser des voies de communication similaires : réseaux sociaux, médias,… Cela s’explique en partie par leur difficulté à communiquer hors secteur professionnel (Maquet et al, 2011 ; op cit) mais aussi par le fait que la dimension de leurs entreprises ne leur permet pas de disposer des moyens nécessaires pour cela. Ils ne peuvent donc mettre en place de stratégie de prévention ou de gestion de conflits, contrairement à ce que peuvent faire les entreprises industrielles d’abattage ou de transformation des filières viandes, par exemple lors de crises sanitaires.
Par les critiques formulées, par la mise en œuvre de vecteurs de communication déstabilisants, l’enquête publique est le plus souvent synonyme de stress et de souffrance pour l’éleveur et ses proches. Mais, au-delà de l’épreuve qu’elle peut représenter, en révélant des incompréhensions, l’enquête publique peut aussi les amener à s’interroger sur leurs pratiques et les conduire à entamer un dialogue avec les tiers (riverains, élus…). En effet, par sa dimension initiale locale, par les incompréhensions qu’il révèle, le conflit apparaît aussi comme une interpellation adressée à l’éleveur sur sa capacité à s’adapter et à s’inscrire dans un territoire en mutation. Il peut dans certains cas y avoir développement de la capacité à comprendre l’autre. Lorsque le projet n’est pas abandonné, qu’il est « socialement accepté », l’éleveur se fabrique un nouveau statut.     
Les résultats de cette étude soulignent l’importance d’intégrer à l’échelle locale les questions sociétales pour faciliter la réalisation des projets d’élevage et favoriser leur coexistence avec d’autres acteurs et activités des territoires. Ils mettent en lumière le rôle crucial des incompréhensions mutuelles initiales et suggèrent certains leviers favorisant l’instauration d’un dialogue : la mise en œuvre d’une communication compréhensible, l’implication locale des éleveurs, leur capacité à trouver des lieux d’échanges avec les non agriculteurs… Mais la compréhension de cette question de l’acceptabilité nécessite de prendre en compte l’avis de tous les acteurs du territoire. C’est pourquoi, cette première étape, reposant sur l’avis des acteurs de la filière porcine, sera prolongée par une enquête auprès d’autres acteurs locaux : élus locaux, riverains, membres d’associations environnementales…

 

Remerciements :

Cette étude a été réalisée avec la contribution financière du Compte d’Affectation Spéciale pour le Développement Agricole et Rural et du Conseil Régional de Bretagne.

 

Références :

Berdagué J.L., Bonneau, M., 2008. Mesure des nuisances olfactives associées à l’élevage porcin. INRA Prod. Anim., 21 (4), 361-366.
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Breeman G., Termeer C., Van Lieshout M.; 2013. Decision making on mega stables : understanding and preventing citizens’ distrust.. NJAS – Wageningen J. Life Sci. 9 pages, disponible sur , http : // dx.doi.org/10.1016/j.njas.2013.05.004.
Darly S., Torre A., 2008. Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France, Géocarrefour, Vol. 83/4.
Hochereau, F., Selmi, S., 2013. L'application d'une norme de bien-être animal en abattage rituel : vers une redéfinition du Halal ? Colloque "Vous avez dit halal ?" 7-8 nov. 2013 Collège de France - Paris (France)
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Lemieux C., 2008. Controverses environnementales autour des élevages porcins en Bretagne. Séminaire du programme SPADD des 4, 5 et 6 juin 2008. Disponible sur http://w3.rennes.inra.fr/spadd/g1/seminaireintermediaire/
Maquet P., Bartiaux-thill N., Wavreille J., 2011. Image de la production porcine en Wallonie : analyse du contexte  communicationnel et sociétal. Journées de la recherche porcine, 43, 257-258.
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http://www.agriculteurs-de-bretagne.fr
http://www.csa.eu

 

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