Selon les perspectives agricoles de la FAO et de l’OCDE pour la prochaine décennie, l’élévation du niveau de vie devrait faire croître la consommation de produits animaux, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire, et tirer la production mondiale de viande.
Cet article constitue un résumé d’une œuvre originale de l’OCDE et de la FAO mise à disposition sous la licence Creative Commons Attribution 3.0 OIG. Les opinions exprimées et les arguments utilisés dans cette adaptation ne doivent pas être rapportés comme représentant les vues officielles de l’OCDE ou de ses pays Membres ou de la FAO.
INTRODUCTION
Les Perspectives agricoles 2025-2034 sont le fruit de la collaboration entre l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Ouvrage de référence pour la planification de l’action publique dans la durée, elles sont étayées par les connaissances spécialisées de ces deux organisations « ainsi que par les contributions apportées par les pays membres et par d’autres organisations spécialisées dans les produits de base », précise l’avant-propos du rapport. Outre une première partie analysant les tendances et perspectives des marchés agricoles et alimentaires mondiaux dans leur ensemble, le rapport s’attache à décrire les évolutions récentes des marchés et à présenter les projections à moyen terme de la consommation, de la production, des échanges et des prix des différentes produits examinés (OCDE/FAO, 2025). Cet article reprend les principaux éléments de la section consacrée à la viande dans le rapport (pages 94 à 108 dans la version française).
I.1. Une hausse "moitié moins élevée" que la décennie précédente
Selon les projections à moyen terme publiées dans le rapport de l’OCDE et de la FAO (OCDE, FAO, 2025), la consommation mondiale de viande devrait progresser de 47,9 Mt au cours de la prochaine décennie soit une augmentation de 0,9 kg par habitant et par an en équivalent poids comestible au détail (epd). Dans le détail, c’est la consommation de volaille qui progresserait le plus rapidement (+21%), devant celle de viande ovine (+16%), celle de viande bovine (+13%) et celle de viande porcine (+ 5%) d’ici 2034. Du fait de l’augmentation rapide de la population et des revenus, 45% de la croissance de la consommation mondiale se produira dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Par pays, hors Chine et Inde, la plus forte hausse de la consommation de viande devrait être observée au Brésil, en Indonésie, aux Philippines, aux États-Unis et au Vietnam. La croissance rapide de la population africaine, qui passera de 1,5 milliard à 1,8 milliard d’habitants au cours de la prochaine décennie, entraînera une augmentation substantielle (+33%) de la consommation de viande dans cette région (FAO, Rome, 2024).
Par habitant, la consommation totale de viande ne devrait progresser que de 3% pour atteindre 29,3 kg epd par habitant/an, une hausse « moitié moins élevée qu’au cours de la décennie précédente », observe le rapport. Dans la plupart des pays à revenu élevé (qui représentaient 35% de la consommation mondiale de viande, mais seulement 17% de la population mondiale en 2024), la croissance de la consommation de viande par habitant continuerait ainsi de ralentir (Figure 1). Au Canada et dans l’Union européenne, par exemple, la tendance à substituer la consommation de volailles à celle de viandes bovine, porcine et ovine se poursuivra selon les experts « et s’accompagnera d’une stagnation de la consommation totale de viande par habitant ».
Figure 1 : Consommation de viande par habitant selon le groupe de revenu et le type de Viande
Source : OCDE/FAO (2025), http://data-explorer.oecd.org/s/1hc
I.2. La volaille, grande bénéficiaire
La consommation mondiale de volaille devrait atteindre 173 Mt en poids prêt à cuire (pac) en 2034. Elle contribuerait ainsi pour 62% au surcroît de consommation de viande. Une progression rapide, déjà enregistrée dans la décennie écoulée, qui devrait se poursuivre. Selon le rapport, « à l’horizon 2034, la viande de volaille fournira 45% de l’ensemble de la consommation de protéines carnées, toutes sources de viande confondues ». Cela est dû, selon Perspectives Agricoles, « à plusieurs facteurs, dont son faible coût (la volaille reste la viande la plus abordable) et son profil nutritionnel favorable grâce à un rapport protéines/matières grasses plus élevé que pour les autres viandes ».
I.3. Une progression moins rapide de la consommation de porc
La consommation de viande porcine devrait augmenter dans toutes les régions, sauf en Chine, dans l’Union européenne, au Japon et en Suisse, où la consommation est déjà élevée. Elle apportera la troisième plus grande contribution à l’augmentation totale de la consommation de viande et devrait représenter 130 Mt en équivalent poids carcasse (epc). La consommation mondiale de viande porcine par habitant devrait néanmoins diminuer de 4% par rapport à la période de référence des Perspectives, en raison d’une croissance nulle de la consommation par habitant dans les régions à revenu élevé « parallèlement à une augmentation rapide de la population dans les régions où la viande porcine n’est pas couramment consommée ». L’Amérique latine est la région où la consommation par habitant devrait enregistrer la plus forte progression, au taux de 1.3 kg/an epd, en raison de prix plus avantageux que ceux de la viande bovine.
I.4. Stabilité pour la viande bovine et ovine
La consommation mondiale de viande bovine devrait atteindre 84 Mt epc au cours de la prochaine décennie, restant stable à environ 6 kg epd par habitant et par an. « La plupart des régions devraient réduire leur consommation de viande bovine, à l’exception du Moyen-Orient et de l’Asie, où la consommation par habitant de ce type de viande devrait augmenter d’environ 0.62 et 0.61 kg/an epd, respectivement, d’ici 2034 », expliquent les auteurs du rapport. Ces augmentations « sont en partie dues à l’essor de la classe moyenne et à la hausse des revenus », qui ont favorisé une alimentation faisant une plus grande place à la viande bovine. En revanche, l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Océanie, qui ont enregistré par le passé des niveaux élevés de consommation, devraient connaître la baisse la plus importante par habitant, du fait de la hausse des prix. La consommation de viande ovine, si elle représente qu’une part modeste du marché mondial de la viande, « demeure une source de protéines essentielle pour de nombreux consommateurs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où elle n’est pas concurrencée par la viande porcine », rappelle le rapport. À l’échelle mondiale, la part de la viande ovine dans la consommation totale de protéines carnées devrait demeurer stable au cours de la période couverte.
II.1. Plus de la moitié de la croissance en provenance d’Asie
La production mondiale de viande devrait progresser de 13%, soit 46 Mt epc pour atteindre un chiffre estimé à 406 Mt epc d’ici 2034. Plus de la moitié (55%) de cette croissance aura lieu en Asie, sous l’effet d’une augmentation de 15 Mt de la production de volaille. Grâce à la relance de ses activités d’élevage après l’épidémie de PPA, la Chine participera pour près de 10% à l’augmentation de la production mondiale de viande, qui bénéficiera également de contributions significatives de l’Inde (8%), des États-Unis (8%) et du Viet Nam (7%). L’Amérique latine devrait accroître de manière régulière sa part de la production, grâce à ses avantages concurrentiels sous l’angle des superficies, des aliments pour animaux et de la génétique animale.
L’Afrique contribue pour environ 6% à la production mondiale de viande, dont elle détient une part importante dans certains secteurs (22% et 10% des productions mondiales de viande ovine et bovine). Malgré une faible croissance économique et des investissements limités, la production de viande – de volaille en particulier – va s’accroître progressivement.
II.2. La volaille augmente malgré les obstacles
Tirée par la demande, la volaille renforcera sa position dominante dans le secteur de la viande, puisqu’elle représentera 62% du volume total de viande supplémentaire produit dans les dix années à venir, estime le rapport. L’OCDE et la FAO notent cependant que plusieurs facteurs « restreindront » l’expansion du secteur. Les flambées de foyers de grippe aviaire hautement pathogène ont en particulier une incidence croissante. Bien qu’une surveillance et un confinement renforcés puissent limiter les conséquences de ces épidémie, « ces mesures ont également pour effet d’alourdir les coûts supportés par la filière (investissements dans la biosécurité, campagnes de vaccination, etc.) », soulignent les auteurs. La production de volaille se heurte par ailleurs à des problèmes environnementaux et sanitaires, liés notamment à l’utilisation d’antibiotiques et au bien-être animal.
II.3. Reprise pour le porc, évolution contrastée en viande bovine
Côté viande porcine, les estimations de Perspectives agricoles ont pris en compte une sortie des conséquences de la peste porcine africaine (PPA) au cours des prochaines années, ce qui contribuera à relancer la production. La viande porcine devrait représenter environ 13% des quantités supplémentaires de viande produites dans le monde à l’horizon 2034. La majeure partie de cette augmentation se produira dans les régions d’Asie touchées par la PPA, telles que le Vietnam. Quant à la production de viande bovine, elle s’accroîtra à moyen terme "à la faveur d’une augmentation des poids en carcasse, d’une commercialisation plus efficace, des améliorations génétiques, ainsi que d’une meilleure gestion des troupeaux". (Figure 2).
Figure 2. Évolutions prévues des indicateurs de productivité des différentes filières à l’horizon 2034 par rapport à la période de référence
Source : OCDE/FAO (2025), Statistiques agricoles de l’OCDE (base de données), http://data-explorer.oecd.org/s/1hc .
La production mondiale atteindra 84 Mt epc d’ici 2034. Selon les experts, la Chine apportera la principale contribution à cette hausse de l’offre mondiale de viande bovine, pour répondre aux besoins de sa consommation intérieure, devant l’Inde, « où des investissements dans les infrastructures de transformation de la viande, et notamment dans des usines de transformation intégrées tournées vers l’exportation, accroissent actuellement les capacités ». La phase de réduction du cheptel de bovins à viande de l’Australie, du Canada et des États-Unis se poursuivra au début de la période couverte par les Perspectives. Mais l’OCFE et la FAO estiment que la hausse des prix « entraînera une augmentation de la rentabilité et tirera vers le haut la production de viande bovine pour le reste de la période couverte par les Perspectives ».
La production mondiale de viande ovine devrait atteindre 19 Mt epc d’ici 2034, ce qui équivaut à une augmentation de 15% par rapport à la période de référence. La Chine, en particulier, contribuera à hauteur de 17 % à cette hausse de la production, car elle se tourne de plus en plus vers l’élevage ovin et caprin pour répondre à la demande de viande (Wang et al., 2024). Cette tendance ne devrait cependant guère profiter à l’Union européenne. « Au sein de l’UE, les quantités produites devraient diminuer en dépit du soutien des revenus couplé à la production et de prix à la production favorables dans les principaux États membres producteurs d’ovins », estime le rapport.
III. DES ECHANGES AU RALENTI, DES PRIX EN HAUSSE POUR LA VIANDE DE RUMINANTS
III.1. Les échanges plafonnent puis reprennent lentement
Les échanges de viande diminueront légèrement au cours de la première année de la période couverte par les Perspectives du fait de la reprise de la production chinoise après l’augmentation de la demande d’importations pendant l’épidémie de peste porcine africaine (PPA) ont a été victime le pays (Figure 3). Dans le cadre de sa politique d’autosuffisance, la Chine soutiendra sa production de viande, réduisant ainsi les besoins en importations du pays. Après cette chute initiale, les échanges mondiaux de viande reprendront leur croissance, mais à un rythme deux fois inférieur à celui de la décennie précédente. Le Brésil, l’Union européenne et les États-Unis devraient compter pour plus de la moitié (54%) des exportations mondiales de viande d’ici 2034, et leur part conjointe demeurera stable tout au long de la période couverte par les Perspectives. Parmi les principaux exportateurs, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, l’Inde, la Thaïlande et la Turquie devraient connaître la plus forte croissance des exportations, grâce à des prix favorables et à des approvisionnements abondants en aliments du bétail. La part des exportations mondiales de viande de l’Union européenne poursuivra sa tendance à la baisse, entamée en 2021, tombant d’environ 19% à 13% à l’horizon 2034.
Figure 3. Une augmentation des échanges de viande en diminution ces dix prochaines années
Source : OCDE/FAO (2025), Statistiques agricoles de l’OCDE (base de données), http://data-explorer.oecd.org/s/1hc .
L’Australie et la Nouvelle-Zélande continueront de dominer les marchés mondiaux de la viande ovine et se concentreront de plus en plus sur les marchés à forte valeur ajoutée d’Europe et d’Amérique du Nord. L’Australie devrait accroître ses exportations d’agneaux légers (de plus grande valeur et nécessitant moins de travail, puisqu’ils sont exportés sous forme de carcasses entières) pour répondre à la demande des restaurants haut de gamme, aux dépens de celles de viande de mouton, alors qu’en Nouvelle-Zélande les exportations diminueront peu à peu à mesure que les superficies consacrées à l’élevage ovin seront affectées à d’autres usages, ce qui devrait atténuer partiellement les gains de productivité réalisés dans le secteur. Une tendance similaire est observée en Australie-Occidentale, où les exportations d’ovins vivants par voie maritime diminuent régulièrement et devraient cesser en 2028 en raison de la législation australienne, qui met progressivement fin aux exportations d’ovins vivants. L’essor d’une classe moyenne de consommateurs au Moyen-Orient constitue le principal facteur à l’origine d’une augmentation de la demande d’importations.
III.2. Des prix en hausse pour la viande de ruminants, en baisse pour les autres viandes
Au début de la période de projection, les prix nominaux de la viande de ruminants devraient connaître une hausse en raison de la reconstitution des cheptels bovin et ovin, qui ralentit provisoirement l’expansion de l’offre et favorise l’augmentation des prix. À l’inverse, les prix de la viande des non-ruminants devraient évoluer à la baisse du fait d’une croissance modérée de la production et d’une diminution des importations de la Chine. À moyen terme, après correction des effets de l’inflation, les Perspectives prévoient une baisse des prix réels de la viande par rapport à leurs niveaux actuels, alors même que les coûts d’exploitation réels, tels que ceux de main-d’œuvre, devraient rester stables. Cette diminution est due à la réduction des coûts réels des aliments pour animaux et à des améliorations constantes de la productivité.
Dans le cas des viandes de ruminants, les prix réels devraient culminer vers 2027, grâce aux efforts de reconstitution des troupeaux dans les secteurs de la viande bovine et ovine. Après ce pic, les prix devraient baisser pour tomber en fin de période à des niveaux de 8% inférieurs à leur valeur de départ. Les prix réels des non-ruminants devraient accuser un repli plus marqué, finissant à un niveau de près de 20% plus bas que lors de la période de référence. Cette divergence découle d’un différentiel de croissance de la productivité qui porte à croire que les gains de productivité ont été plus importants dans les filières porcine et avicole et plus lents dans celles des viandes bovine et ovine (Zulauf, 2019). La baisse prévue des prix des protéines fourragères entraînera également un recul des prix de la volaille et de la viande porcine, productions qui en font une utilisation plus intense. L’écart de prix croissant entre ces viandes favorise un déplacement de la demande des consommateurs vers les viandes de non-ruminants, plus abordables.
Si la consommation et la production de viandes vont progresser dans la décennie à venir, ce sera essentiellement grâce à l’amélioration de la productivité, estiment l’OCDE et la FAO. « Dans les pays à revenu intermédiaire des tranches supérieure et inférieure en particulier, les gains de productivité auront des effets considérables sur la production de viande », estime le rapport. Par exemple, pour la viande bovine, l’augmentation du poids des carcasses devrait représenter « respectivement 24% et 13% du surcroît de production des pays à revenu intermédiaire des tranches supérieure et inférieure ». En outre, l’efficacité globale du système d’élevage, mesurée par le volume de production en fonction des effectifs du cheptel, devrait respectivement progresser de 10% et de 17% dans ces groupes de revenu. Des progrès similaires sont également prévus dans les secteurs de la volaille et de la viande porcine.
Les prévisions formulées par l’OCDE et la FAO pourraient bien sûr être remises en cause par des éléments extérieurs, le secteur de la viande étant soumis à une multitude d’incertitudes, rappellent les auteurs : évolution des épizooties, réformes des politiques environnementales, changements d’orientation des politiques commerciales, incertitudes économiques croissantes, modifications des préférences des consommateurs, etc. En Europe, la récente réapparition de la fièvre aphteuse (FA), dont aucun cas positif n’avait été signalé depuis 2011, marque une résurgence de la maladie dans certains États membres de l’UE depuis le début de l’année. La fièvre aphteuse est l’une des épizooties les plus dévastatrices sur le plan économique et les plus difficiles à maîtriser. Cette résurgence souligne la vulnérabilité mise en évidence dans l’édition des Perspectives de cette année, qui débute dans un contexte caractérisé par de nombreuses épidémies de maladies animales telles que la grippe aviaire hautement pathogène (GAHP). La dernière édition des EU Outlook 2024-2035 (European Commission, 2024) va jusqu’à envisager que la GAHP puisse poser des problèmes tout au long de l’année, ce qui remettrait en cause la viabilité des systèmes d’élevage de volailles en plein air.
Aux États-Unis, les récentes épidémies de GAHP qui ont touché les élevages de volaille ont provoqué des pénuries d’œufs et ont porté leur prix à des niveaux record, ce qui montre à quel point les chocs sanitaires peuvent avoir des effets rapides sur les marchés.
Références
European Commission (2024). EU agricultural outlook, 2024-2035, European Commission, DG Agriculture and Rural Development, Brussels, https://doi.org/10.2762/2329210
FAO (2024). L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2024 - Des financements pour éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et toutes les formes de malnutrition, FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF, https://doi.org/10.4060/cd1254en
OCDE/FAO (2025). Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2025-2034, Paris et Rome, https://doi.org/10.1787/af125b62-fr
Wang X. et al. (2024), « How Food Consumption Trends Change the Direction of Sheep Breeding in China », Animals, 14/21, 3047, https://doi.org/10.3390/ani14213047
Zulauf C. (2019). Comparing livestock productivity since 1993, Farmdoc Daily (9):96, Département d’économie agricole et de la consommation, Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, 24 mai 2019. https://farmdocdaily.illinois.edu/2019/05/comparing-livestock-productivity-since-1993.html