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La revue française de la recherche en viandes et produits carnés  ISSN  2555-8560

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Les débats de société sur l’élevage dans cinq pays européens

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Dans le nord de l’Europe, les labels et démarches de filières ainsi que les orientations données par les pouvoirs publics et la recherche conduisent à des changements de pratiques d’élevage

L’élevage est l’objet de controverses nombreuses et croissantes, en particulier sur le bien-être animal. Dans les pays du nord de l’Europe, où ces débats de société sont plus vifs comparativement aux pays du sud, de nouvelles normes professionnelles (cahiers des charges, labels) et réglementaires font évoluer les pratiques d’élevage. Pour l’instant volontaire, cette segmentation s’inscrit dans un mouvement plus général, à l’échelle européenne, en faveur d’un étiquetage obligatoire, comme pour les œufs, de la viande et du lait.

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INTRODUCTION

Alors que la contestation des modes d’élevage s’amplifie, un recensement et une analyse des controverses sur l’élevage ont été réalisés en France en 2013 (Delanoue et Roguet, 2015). Un travail similaire a été réalisé en 2015 dans cinq pays de l’Union européenne (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Espagne, Italie) afin d’observer si les débats diffèrent entre Etats et d’appréhender leur impact sur l’évolution des modes d’élevage et la segmentation des marchés (Roguet et al., 2016). L’étude s’est appuyée sur une large recherche bibliographique et une trentaine d’entretiens avec des acteurs des filières d’élevage, de la recherche et des associations de ces pays. La première partie de l’article expose les thèmes de débats sur l’élevage dans les cinq pays étudiés. La seconde présente les normes publiques et professionnelles instaurées pour rapprocher élevage et société. La conclusion tire les enseignements de cette comparaison européenne pour les filières animales françaises.

 

I. DES THEMES DE DEBATS SUR L’ELEVAGE COMMUNS ENTRE PAYS

Les sujets de débat se révèlent assez communs entre pays autour des quatre registres identifiés en France par Delanoue et Roguet (2015) : impacts environnementaux, bien-être animal, risques sanitaires, modèles d’élevage. Ceci s’explique par des évolutions semblables des productions animales (croissance et concentration) et par le lobbying collectif qu’exercent les associations militantes de chaque pays, à l’échelle européenne, au sein d’Eurogroup for Animals et d’European Environmental Board. Cependant, la virulence des débats varie entre pays. Ils sont très vifs dans le nord de l’Europe, sur presque tous les sujets, portés par de puissantes associations nationales. Ils le sont beaucoup moins dans les pays du sud, en particulier en Espagne. Porcs et volailles sont partout les premières cibles des critiques, en lien avec leur mode d’élevage (confinement, densité, nombre d’animaux).

Figure 1 : Frise d’apparition des controverses sur l’élevage

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La controverse sur les impacts de l’élevage sur l’environnement, la plus ancienne (Figure 1), a conduit l’UE à adopter des réglementations communes dont la plus emblématique est la directive Nitrates de 1991. La problématique du bien-être animal est montée en puissance dans l’UE dans les années 1990 conduisant à l’adoption de réglementations de protection des animaux d’élevage (directive CE 98/58 du Conseil) ou de catégories particulières (veaux et porcs depuis 1991, poules pondeuses depuis 1999). Aux Pays-Bas, la préoccupation de la société pour le bien-être animal s’est exprimée au travers des succès électoraux du parti politique dédié à cette cause (Partij voor de Dieren), créé en 2002. Au-delà du bien-être, la question porte de plus en plus sur les droits fondamentaux des animaux, dont le droit à la vie. Ceci se traduit par une pression forte, dans le nord de l’Europe, pour faire cesser la suppression d’animaux pour des raisons économiques (poussins mâles en filière ponte, veaux mâles en filière laitière, porcelets chétifs…) et l’abattage de femelles gestantes. Les années 2000 ont vu émerger le débat sur les risques de l’élevage sur la santé publique, avec en particulier la question de l’antibiorésistance et des épizooties et zoonoses. Ce débat est particulièrement actif au Danemark, où la crainte d’être contaminé par des bactéries résistantes aux antibiotiques (SARM, ESBL)1 est très répandue. Dans ce pays, la croissance et le volume de la production porcine – 30 millions de porcelets produits par an pour 5,6 millions d’habitants - sont un sujet majeur de débat en raison des impacts sur l’environnement et la santé humaine, d’autant que 90 % de la production est exportée. En Italie, la sécurité sanitaire et la qualité des produits sont le point d’entrée des controverses sur l’élevage. Les scandales et fraudes alimentaires des vingt dernières années en Europe ont renforcé chez le consommateur le besoin d’assurance. L’effet de la consommation de viande sur la santé est aussi un argument de plus en plus mobilisé. Cela s’exprime dans une demande pour des systèmes plus en phase avec la nature, et une consommation locale de produits de qualité, que traduit le phénomène Slow Food. En Espagne, où les débats sur l’élevage sont beaucoup moins importants, pour ne pas dire quasi-inexistants, le risque pour la santé humaine (antibiorésistance) est le principal sujet de controverses.
L’Allemagne constitue un cas d’école. Après une décennie de croissance très dynamique des productions animales, leur acceptation sociale s’est effondrée depuis le début des années 2010 (WBA, 2015). Les débats sont vifs sur tous les sujets (Figure 2). Ils traduisent un rejet d’ensemble d’un modèle d’élevage dit "intensif" ou "industriel", caractérisé par des concentrations importantes d’animaux, leur confinement et une suspicion générale sur la qualité des produits.

Figure 2 : Les sujets de débats sur l’élevage en Allemagne

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II. LES ORIENTATIONS DONNEES PAR LES PRINCIPAUX ACTEURS DES DEBATS

Le débat de société sur l’élevage doit être analysé comme une controverse, c’est-à-dire un conflit triadique opposant, dans ce cas-là, ceux qui remettent en cause l’élevage (pour schématiser : les associations de protection animale, environnementale…) et ceux qui le défendent (filières), devant un public jouant le rôle d'arbitre (les pouvoirs publics, et au-delà les distributeurs, les consommateurs). L’enjeu est pour les deux adversaires de rallier ce public à sa cause, par l’argumentation, mais aussi par diverses stratégies (discréditation, contrôle de l’image, concertations…) (Van Tilbeurgh, 2017).

II.1. De l’obligation réglementaire à l’incitation

La protection animale et environnementale est réglementairement assurée par des normes qui fixent "à un moment donné, un compromis acceptable par l’ensemble du corps social" (van Tilbeurgh, op.cit.). Dans un marché commun, ces normes réglementaires sont définies à l’échelle européenne pour éviter les distorsions de concurrence. Dans les pays comme l’Espagne et l’Italie, où l’agriculture ne constitue pas, ou très peu, un sujet politique, le cadre réglementaire national se limite à l’application de ces textes européens. Mais d’autres pays, comme les Pays-Bas, l’Allemagne et le Danemark, du fait d’une sensibilité plus forte de leur population, imposent des normes plus strictes (plus de place par porc en Allemagne et aux Pays-Bas, épointage du bec interdit au Danemark…).
En plus de ce rôle normatif, dans les pays du nord de l’Europe, le gouvernement joue une fonction de médiation. Par exemple en Allemagne, chaque nouveau ministre fédéral de l’agriculture rédige une charte pour l’agriculture, à partir de consultations avec les associations, les filières, la recherche et les gouvernements des Länder. Celle de 2012 avait deux priorités : la recherche de solutions pour arrêter les mutilations (coupe des queues, épointage des becs, écornage) et l’étiquetage des viandes selon le mode d’élevage avec la création d’un label officiel. Celle de 2014 fait de l’amélioration du bien-être des animaux d’élevage, porcs et volailles en particulier, une priorité. Le gouvernement allemand encourage la "démarche volontaire obligatoire" (verbindliche Freiwilligkeit) : si les filières ne prennent pas d’initiatives, de nouvelles règlementations s’imposeront. Il s’engage parallèlement à promouvoir le bien-être animal à l’échelle européenne et internationale. Au Danemark, le ministre de l’agriculture en 2014 et 2015, social-démocrate et très impliqué dans la cause animale, a fait signer en 2014 aux représentants du gouvernement, des consommateurs, des associations de protection animale, des scientifiques et des praticiens, un plan d’action "bien-être" pour les porcs, traduisant un consensus autour de neuf points : diminution de la mortalité, suppression des cages de contention en maternité (10 % des truies libres en 2020), obligation d’anesthésie lors de la castration…

II.2. Les labels des associations

Les actions des associations, de protection animale ou écologistes, visent à faire évoluer les modes d’élevage vers un idéal qu’elles partagent : une production biologique qui cherche à respecter l’environnement et le bien-être animal (accès à l’air libre), et une consommation de produits animaux réduite mais de meilleure qualité. Dans chacun des trois pays du nord de l’Europe étudiés, à côté des labels biologiques, la principale association de protection animale du pays a créé, en collaboration avec les acteurs des filières, voire les pouvoirs publics, un label pour différencier les produits animaux selon les modes d’élevage qu’elle soutient (Tableau 1).

Tableau 1 : Labels "bien-être" officiels des ONG de protection animale

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Les premiers labels "bien-être" avaient un seul niveau, élevé, d’exigences. Les labels créés ces dernières années ont deux caractéristiques communes. Tout d’abord, ils sont conçus pour répondre aux attentes des citoyens qui se résument, concernant le bien-être animal, en quelques principes : faibles densités, liberté de mouvement (pas de cages ni étables entravées), matériaux manipulables (paille), zones différenciées dans les bâtiments (alimentation, couchage, exercice), accès à l’air libre (courette ou plein air pour les granivores, pâturage pour les herbivores), absence d’interventions douloureuses (castration, coupe de la queue…), tailles d’élevage limitées. Ensuite, ces labels proposent tous un gradient d’exigences symbolisé par un nombre d’étoiles ou de cœurs. Ce système de gradient a deux intérêts : il permet une démarche de progrès pour les éleveurs et surtout, en imposant de faibles contraintes pour le niveau d’entrée (Tableau 2), son objectif est qu’un grand nombre d’éleveurs s’engage dans la démarche, du fait des changements limités à opérer, et que les consommateurs soient nombreux à acheter ces produits en raison d’une augmentation limitée du prix de vente (+10 à +15%).

Tableau 2 : Cahier des charges Beter Leven pour les porcs

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II.3. Les labels des filières et des distributeurs

Face aux demandes de société, les filières d’élevage et distributeurs des pays du nord de l’Europe ont adopté deux stratégies, avec un principe directeur "mehr Tierwohl gibt es nicht zum Nulltarif", autrement dit le bien-être animal a un prix. La première consiste à étiqueter les produits (par exemple, "lait de pâturage" de la coopérative néerlandaise FrieslandCampina) pour permettre aux consommateurs - qui le veulent et le peuvent - d’opter pour des produits plus en phase avec leurs convictions. La seconde consiste à faire payer tous les consommateurs pour plus de bien-être animal, considéré comme un bien commun. Une cotisation est prélevée sur tous les kilos de viande vendus pour alimenter un fonds servant à couvrir les surcoûts des éleveurs qui investissent dans plus de bien-être animal. C’est le principe de l’Initiative Tierwohl (initiative bien-être animal) des filières avicoles et porcines allemandes, lancée en 2015 et associant producteurs, abatteurs et distributeurs. Les éleveurs volontaires choisissent dans une liste des points à améliorer parmi lesquels, en porc, obligatoirement plus de surface par animal ou un accès permanent à de la paille. Leurs surcoûts sont compensés par des bonus versés par un fonds alimenté par les distributeurs partenaires (Figure 3). Ils prélèvent 4 cts€ sur chaque kilo de viande vendu dans le pays (6,25 cts€ à partir de 2018). Dans les supermarchés ou les restaurants, les produits des élevages participant à l'initiative ne se démarquent pas des autres. Il n’y a ni étiquetage ni différence de prix. En 2017, cette initiative concerne un tiers de la production allemande de poulet de chair, 24 % de celle de dindes et 12 % de celle de porcs (top agrar, 2016).

Figure 3 : Mécanisme financier de l’Initiative Tierwohl en Allemagne

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Pour répondre à la demande de leurs clients, à la pression des ONG et se différencier de leurs concurrents, les distributeurs créent aussi leurs propres marques "bien-être". Ils se positionnent sur le créneau de marché entre le standard à bas prix et le bio deux à trois fois plus cher. L’exemple du poulet aux Pays-Bas est instructif. La campagne médiatique en 2012 de l’ONG Wakker Dier contre le "Pflopkip" (le poulet qui grandit si vite qu’il ne tient plus sur ses pattes) a conduit la filière avicole et les distributeurs néerlandais à arrêter sa commercialisation en 2016 sur le marché domestique frais (un tiers de la production nationale) au seul profit du "poulet de demain" (Kip van Morgen). Ce dernier respecte des obligations pour le bien-être animal (souches à croissance ralentie, densité réduite, milieu de vie enrichi) et l’environnement (soja et énergie durables, moins d’émissions d’ammoniac). Ces exigences sont cependant nettement inférieures à celles du niveau d’entrée (1 étoile) de Beter Leven. Malgré quelques inquiétudes, la filière avicole néerlandaise voit dans le "poulet de demain" un moyen de protéger le marché domestique contre les importations, d’exporter davantage vers le Royaume-Uni, sensible à la question du bien-être animal, et de favoriser le recrutement de nouveaux éleveurs en améliorant l’image de la production.

 

CONCLUSION

La montée de la contestation sociale de l’élevage, notamment par rapport au bien-être animal, les orientations de la recherche et des pouvoirs publics, les labels des associations et les initiatives de filière conduisent à des changements de pratiques d’élevage en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. Les labels les plus exigeants se traduisent par des coûts de production et des prix de vente élevés, qui les cantonnent à un marché de niche. Cette situation a conduit les distributeurs et les acteurs des filières du nord de l’Europe à développer des produits étiquetés selon le mode d’élevage, à des prix plus accessibles. Leur stratégie est celle des "petits pas sur de grands volumes", comparativement à la stratégie des "grands pas sur de petits volumes" de certains labels. Leurs cahiers des charges conduisent à faire évoluer les pratiques d’élevage pour une part significative de la production (10 à 30%). Les pays qui s’engagent sur la voie de la différenciation des produits animaux, selon le mode de production, espèrent en tirer à terme un avantage concurrentiel, en verrouillant leur marché intérieur d’une part, et en imposant leurs contraintes aux autres Etats membres d'autre part. Ils se préparent aussi à une éventuelle obligation européenne d’étiqueter les viandes selon le mode de production. En France, les critiques adressées à l’élevage rencontrent un écho croissant dans la société. Ceci conduit les acteurs économiques (coopératives, distributeurs) à s’engager, à leur tour, dans la voie de l’étiquetage selon le mode de production. La recherche publique semble aussi étudier de plus près la création d’un label bien-être officiel.

 

Références :

Delanoue Elsa, Roguet Christine, 2015. Acceptabilité sociale de l’élevage : recensement et analyse des principales controverses à partir des regards croisés de différents acteurs. INRA Prod. Anim., 2015, 28(1), 39-50.
Top agrar, 2016. "Wir müssen die Initiative Tierwohl weiterentwickeln!". 5/2016, 124-126.
Roguet C., Neumeister D., Magdelaine P., Dockès A.-C., 2016. Les débats de société sur l’élevage en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas : analyse, confrontation avec le sud de l’UE et enseignements. Notes et études socio-économiques, n°40, 65-91.
Van Tilbeurgh V., 2017. Enjeux sociétaux et adaptation des filières aux controverses sur l’élevage. Douziemes Journées de la Recherche Avicole et Palmipèdes à Foie Gras, Tours, 5 et 6 avril 2017, 8 pages.
WBA, 2015. Wege zu einer gesellschaftlich akzeptierten Nutztierhaltung. Kurzfassung des Gutachtens. Wissenschaftlicher Beirat für Agrarpolitik beim Bundesministerium für Ernährung und Landwirtschaft, März 2015, 78 p. http://www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/Ministerium/Beiraete/Agrarpolitik/GutachtenNutztierhaltung-Kurzfassung.pdf?__blob=publicationFile

 

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SARM : Staphylococcus Aureus Résistant à la Méthicilline. ESBL : Extended spectrum beta-lactamase.

 

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